lundi 15 février 2010

Optimisme

Aujourd'hui un sondage anglais intitulé « Wake Up To Rape » et mené pour le compte de Haven, qui tient trois centres d'aide aux victimes de violences sexuelles à Londres. Sur 1061 hommes et femmes interrogés, on trouve donc que :

> 54 % des femmes pensent que les violées ont leur part de responsabilité dans leur viol

> 14 % des femmes pensent que la majorité des viols sont inventés

> les femmes de 18 à 24 ans sont celles qui jugent le plus durement la « responsabilité » des violées ; 24 % d'entre elles par exemple, pensent qu'il y a responsabilité partielle de la violée si elle portait une jupe courte, avait accepté de prendre un verre ou de parler à son violeur

> 20 % des femmes, tous âges confondus, pensent que la violée est responsable si elle est allée de son plein gré chez son violeur

> 13 % des femmes pensent que si la violée a auparavant dansé ou flirté avec son violeur « devait en mesurer les conséquences »

> 13 % des hommes admettent avoir déjà eu des relations sexuelles avec une femme qui était trop saoule pour comprendre ce qui se passait

> 33% des hommes pensent qu'il n'y a pas viol si la femme a d'abord refusé d'avoir des relations sexuelles, puis s'est ensuite laissé faire

Dans le cas d'un viol :

> 20% des femmes préfèrent ne pas porter plainte, car elles auraient trop honte ou seraient trop embarrassées de le faire

> 25% des femmes déclarent ne pas vouloir porter plainte si elles sentent qu'elles se sont « laissé faire »

> 42 % des femmes préfèrent ne pas porter plainte, si cela signifie ensuite passer par un procès


Suis-je étonnée ? Non. Suis-je affligée ? Un peu.

jeudi 11 février 2010

De l'éducation sexuelle du jeune

Je ne me souviens pas avoir eu des cours d'éducation sexuelle. Au collège, en cinquième je crois, il y avait des cours de biologie sur la reproduction. Je me souviens d'une séance avec une diapositive d'un sanglier montant sur une laie, et d'un débat « tour de table », avec comme question centrale (et idée-force) « pourquoi les animaux font-ils l'amour ? ». Il y avait les gentils premiers de la classe qui disaient « pour avoir des bébés », le professeur barbu faisait dodeliner sa barbe, et ceux du fond (qui en profitaient parfois pour se branler sous la paillasse, en poussant des petits gémissements de marcassin) qui répondaient « pour le plaisir », et la barbe du professeur dodelinait d'une autre façon – il rigolait. Le plaisir fait visiblement rire, je ne la sors pas de la bite de Jupiter celle-là : les blagues de cul font rire, les sous-entendus grivois font rire, ce qui n'est pas le cas des évocations de l'accouchement et autres soucis de logistique familiale. Il paraît même que sur l'amour, sentiment parfois préalable, parfois conséquent, au coït, plein de gens ont écrit, c'est dire.

En ce moment, les débats-tour-de-table tournent autour du film « Le baiser de la lune » (un film que je n'ai pas vu) censé prévenir l'homophobie à l'école, en montrant les amours difficiles mais néanmoins heureuses du poisson-chat Félix et du poisson-lune Léon. Ce qui en soit n'est pas une mauvaise chose, puisque de nombreuses études (et certaines très récentes) montrent que les enfants ont majoritairement tendance à en harceler d'autres sur des motifs sexuels.

Là-dessus, j'entends Edwige Antier et sa voix douceâtre (qui m'exaspère) dire que le but premier de l'éducation sexuelle, c'est de montrer aux jeunes enfants ce que cela fait quand papa rentre dans maman, qu'il est question d'amour et de respect, contrairement à ce que l'on voit dans ses horribles films pornographiques déboulant dans nos cours de récréation et faisant que dans son cabinet, elle reçoit des petits-garçons qui lui racontent ce que d'autres petits-garçons leur font, et que jamais un petit-garçon normal, et seul, aurait l'idée de faire. De quoi s'agit-il ? On ne sait pas, c'est trop affreux pour le dire (la loi de l'indicible, souvenez-vous).

Ce qui n'est pas assez affreux pour le dire, par contre, c'est que lorsque le petit-garçon bien élevé à la Edwige Antier du papa qui rentre dans maman plein d'amour et de respect rencontrera un autre petit-garçon qui aura comme idée de la lui mettre - d'une façon qui n'aura pas été celle de papa et maman mais qui sera tout de même pleine d'amour et de respect -, il y a de fortes chances que le petit-garçon bien élevé décide de lui péter la gueule. Mais Edwige (ou sa descendance) sera heureuse, il y aura toujours des petits-garçons dans son cabinet qui se presseront pour raconter des choses affreuses qu'elle continuera de taire.

dimanche 7 février 2010

En réalité

Une goutte de quoi ? N'importe quelle goutte : d'eau, de miel, de salive, de sperme. C'est ouvert, et tout est possible, explique Hormuz Kéy, il ne s'agit pas de s'en tenir à une seule substance, c'est l'image qui compte, l'image de la fragilité, de l'absurdité - de la beauté, du fluide, du brillant, tout et n'importe quoi absolument contenus dans cette goutte de vie suspendue.












J'ai mis du temps à pouvoir parler de ce film, parce qu'il m'est douloureux - on y voit la déchéance et la mort d'une personne qui m'est chère, Christian de Rabaudy, mon professeur de philosophie de Terminale. Et c'est un peu comme dans les films avec Sophie Marceau, ça marque. De la philosophie, je n'en avais déjà rien à foutre à l'époque, je voyais mes camarades de classe froncer des sourcils dans les couloirs des inter-cours, les jambes étirées, le territoire bien en place - l'air consterné aussi, un peu poussif, avec le ton autoritaire des gens qui te parlent de choses très compliquées. A l'époque, je ne jouais pas le jeu. Dans mes copies aux « évidentes qualités littéraires », notées de son écriture, fine, délicate et un peu précieuse, je parlais de tout sauf de la discipline obligatoire. Je parlais de livres, de films, de musique. C'est d'ailleurs globalement de musique dont il était question dans nos lettres, les deux ou trois années suivantes - j'ai par exemple découvert grâce à lui une grande partie de la musique « française » des XIXème et XXème siècles : Guillaume Lekeu, Vincent d'Indy, César Franck, Darius Milhaud, etc. ; l'école polonaise : Lutosławski, Górecki, Szymanowski ... et je crois lui avoir fait passer mon goût de la musique baroque et contemporaine, et peut-être l'avoir touché en lui offrant un jour Mystère et mémoire des sons, de Dutilleux. C'est aussi grâce à lui que je sais aujourd'hui que Nietzsche s'est exercé à la composition, et que je vois ce que ça donne : un résultat médiocre, disait-il. Il m'avait offert le CD pour me récompenser d'avoir reconnu Debussy sur un billet de 20 francs, même si je pense que c'était là une excuse et que j'aurais eu dans tous les cas ce cadeau, caché dans son sac Gibert jaune qui pendouillait toujours au guidon de son vélo. Par contre, il n'est jamais arrivé à me faire aimer l'opéra, et réussissait mal à faire son poli, en hochant la tête, quand je lui parlais de mon amour inconsolable pour la symphonie Leningrad, de Chostakovitch.













J'ai mis du temps à pouvoir parler de ce film, parce qu'il m'est douloureux - quand j'ai voulu reprendre contact avec Christian de Rabaudy, en 2007, j'ai appris d'une pierre deux coups qu'il avait été le sujet de ce « conte-documentaire », et qu'il était mort. Pas possible donc, le trip « retour de l'élève prodigue », celle qui, avec une autre camarade, avait forcé tous les autres à signer une carte de prompt rétablissement qui l'avait ému aux larmes, sur son lit d'hôpital pour cause de diabète soigné à la va comme je te pousse. Quand il coupa l'année scolaire en deux, nous laissant aux prises avec une professeure, plus femme plus jeune et plus blonde avec « de meilleures méthodes et qui ne puait pas ». Vous vous rendez compte, disaient les mères d'élèves, c'est scandaleux, une matière si importante avec un coefficient si énorme - il fallait faire quelque chose.














J'ai mis du temps à pouvoir parler de ce film, parce qu'il m'est douloureux - parce que son réalisateur, Hormuz Kéy, est une de ces personnes qui me déstabilisent par leur bonté toute nue. Oui, j'ai très mauvais esprit et je suis très loin d'être humaniste, mais Hormuz Kéy fait partie de ces rares personnes dont la naïveté et la croyance en l'espèce sont contagieuses. Un individu qui nourrit sans doute sa « fille intérieure », pour reprendre les termes d'Eve Ensler, de ces individus qui bafoués, battus, entravés, violés, préfèrent toujours la voie du dépassement de la haine et de la vengeance, à celles des serpents qui se mordent la queue et creusent en tournant sur eux-mêmes, un peu plus profondément leur tombe.













Pour ceux qui voudraient voir ce que cela donne, Hormuz Kéy présentera une nouvelle fois son film multi-primé vendredi prochain, 12 février, à 19h, dans la salle du Forum des Images, aux Halles, à Paris. Pour ma part, je serai aux côtés de l'homme que j'aime. Il viendra d'incinérer son père, mort cette nuit.