dimanche 30 juin 2019

Interview avec Nancy Giampolo pour Clarin (Argentine)


Why do you ensure that the new feminism is puritanical and retrograde?
A prostitute and friend of mine once said to me that feminism was a great idea until it came to power. I think it's a good summary of what I'm concerned about in contemporary mainstream feminism. Its main goal is not how to free women or assure the gender equality but to rule and maintain its status. And the thing is that fear has always been a great tool of power – if you make people afraid, they are more prone to obey. Since my first book in 2009, I see mainstream feminism as one of the most blatant proof of the failure of sexual revolution, which was not, in theory, only a sexual liberation (you are free to fuck whoever and whenever you want) but also a liberation from sex (sex as no burden to the soul, especially for women). But with mainstream feminism, the « stain » of sex has never been so salient – in the old days, we punished « bad » women (a stigma that remains with prostitutes), now we punish « bad » men, but the motto is the same : no soul can be freed from the burden of sex. #Metoo is very exemplar of that trend I saw growing on the feminist blogosphere since decades : our first « silence breaker » in France was Sandra Müller, a journalist who said she was sucked into a « spatio-temporal abyss » because a man told her he wanted to make her come all night – with no threat whatsoever and the guy apologized the day after the incident (Müller now faces defamation charges). What message do we convey when we say this ? That a sexual comment has the power to annihilate you ? It's very victorian – women are delicate flowers who have to be put under glass because the world is full of dangers for their « purity ». And it's an old and sorry trick.


In your view, what are the main points that the new feminism uses to undertake "witch hunts"?
Again, a politics of fear. The day after our manifest, some mainstream feminists wrote a counter- letter to accuse us to be defenders of rapists and paedophiles. A former Minister of Women's Rights even said on a very popular radio show that our letter was an excuse to rape in fancy clothes. That's text-book agit-prop : obscure the facts with fear, make people react and not think. Dig trenches between friends and foes, against which everything is allowed. Here, we found again the « stain », the defilement logic : your « ennemies » are not people, they are existential threats, so they must be sought and destroyed.


What is the position the manifesto signers have regarding the sorority concept and the idea that a woman who claims to have been harassed could never lie?
I can't speak for all the signatories, I only speak for me. To me, sorority displays the religious (or "mystic" as Bertrand Russell said) nature of the feminism I despise. When you don't want to understand, let alone change, reality, but to build cults, tribes, ministries where you stay among clones and hunt the heretics. For that, you need a dogma and a gospel - the utopia of the sorority is one of these unfalsifiable categories. And its goes hand in hand with the « believe all victims » mantra, as women were one big and monolithic category of pure angels absolutely devoid of bad intentions. People can lie about being dead to fool the police or insurances, but no woman can lie about being « inappropriately » touched or talked ? Give me a break ! It's a simple law of supply and demand – when victimhood becomes a status currency, you have all the incentives of the world for lying about being one. And now's the time. The backlash will be ugly, but sadly predictible.


What do you think would be truly empowering for a Western woman today?
The same as ever : to have the means to sustain your own existence. Don't depend on anyone and the rest will follow. And as a rationalist feminist, I will add Nullius in verba : Take nobody's word for it. Always check facts and practice critical thinking, as the search for the truth is the best venture ever, whether or not you have a vagina.


Version originale de l'interview parue dans Clarin, le 30 juin 2019

mardi 4 juin 2019

Interview par Sarah Constantin pour Grazia

Que penses-tu de la réaction de Marlène Schiappa, qui critique la grève du sexe lancée par Alyssa Milano et affirme que cela n'est que « se priver soi même » et « nous punir une deuxième fois » ?

Je suis assez d'accord et c'est très cocasse de voir que le présupposé de la grève du sexe – les femmes sont pourvoyeuses d'un service qu'elles rendent aux hommes en échange d'avantages – est une vision très conservatrice car naturelle du rapport économico-sexuel. En moyenne, la plus grande différence sexuelle entre les hommes et les femmes considérés en tant que groupes relève du goût pour la variation des partenaires – ce n'est pas que les hommes ont plus de libido que les femmes, mais qu'ils ont une plus grande propension à multiplier les partenaires et ce pour des raisons ultimement reproductives. Pour le dire très schématiquement, pour que leur stratégie reproductive soit optimale, les hommes ont tout intérêt à minimiser leur investissement parental dans leur progéniture et donc à multiplier les rapports féconds sans engagement. Les femmes, aussi, sauf qu'en tant que mammifères placentaires, elles ont un investissement parental minimal bien plus conséquent que les hommes : minimiser leur propre investissement signifie donc sécuriser la présence d'un pourvoyeur de ressources en restreignant ce qui est le plus délétère pour ses gènes à lui, à savoir élever des enfants dont il n'est pas le géniteur. D'où l'intérêt que les femmes ont à être (mais surtout, à passer pour) chastes. Et dans le contexte du droit à l'avortement, c'est méconnaître la réalité des clivages existants sur la question et les facteurs qui y contribuent : les plus grands écarts d'opinion ne sont pas observés entre hommes et femmes, mais entre femmes entre elles, avec la religiosité jouant un rôle très important. Ce sont les femmes conservatrices qui ont tout intérêt à restreindre le droit à l'avortement pour conserver un coût élevé au sexe et s'assurer l'investissement masculin. C'est ce qu'une bonne partie des féministes orthodoxes ne comprennent pas : l'avortement est sans doute l'un des sujets où la guerre des sexes est le moins à l’œuvre ! C'est avant tout une question de compétition intrasexuelle féminine, comme quasiment toutes les questions sociétales liées à la gestion de la reproduction : de l'avortement au mariage homosexuel en passant par la prostitution ou même le port du voile islamique, les franges les plus conservatrices des populations sont composées de femmes que la « promiscuité » de leurs homologues menace. Il est donc dans leur intérêt de l'endiguer.

Pour toi, une grève du sexe, c’est renoncer au plaisir ou se mettre en position de pouvoir ? 

Ce n'est pas mutuellement exclusif et cela dépend aussi des raisons de sa mise en œuvre. Les grèves du sexe les plus efficaces ont des motivations pacifistes : pour faire stopper une guerre ou généralement de la violence coalitionnelle (gangs, etc.), on prive les hommes de sexe (mais souvent aussi de tâches ménagères...). Dans ce sens là, la chose est logique : les hommes allant à la guerre (notamment) pour se mesurer entre eux et augmenter leur pool de partenaires (et donc leur succès reproducteur, à savoir la quantité de gènes qu'ils transmettront à la génération suivante), si on leur coupe cette motivation, le rapport coût/bénéfice de la guerre penche davantage vers le premier plateau. Ici, les femmes peuvent effectivement renoncer temporairement au plaisir, mais elles se mettent aussi dans une position de pouvoir.

Ce mode d'action est il encore approprié aujourd'hui ? 

Dans les environnements comme le nôtre où la guerre des sexes est la moins prégnante, absolument pas. Dans des sociétés promouvant l'égalité entre individus en général et entre hommes et femmes en particulier, c'est même complètement con de réactiver des clivages qui ne cessent de s'atténuer. D'un point de vue politique, c'est aussi contre-productif : des personnalités conservatrices comme Candace Owens ont surfé sur le buzz de la guerre du sexe en disant en gros : super, que les gauchistes arrêtent de baiser, nous on va le faire deux fois plus et on va vous supplanter démographiquement. C'est une vision aussi totalement basse du plafond, mais le fait est que dans le contexte politique américain actuel, chaque camp joue pour lui-même des stratégies de courte vue. De même, sans doute que Milano a engrangé des points de capital social auprès de sa tribu : mais est-ce que cela fait avancer la cause de la liberté reproductive féminine ? Absolument pas. Ces derniers jours, les États corsetant leurs législations sur l'avortement se multiplient. Dans les faits, elles sont inapplicables, car le droit à l'IVG est autorisé au niveau fédéral. Sauf que le but ultime des Républicains « pro-life » est d'aller à la Cour suprême, aujourd'hui majoritairement républicaine, pour lui ôter sa constitutionnalité. Qu'une bonne partie des progressistes semblent ne pas le voir et préfèrent jouer l'affichage de vertu du « slacktivisme » est complètement déprimant.
Version intégrale de l'interview publiée dans Grazia le 4 juin 2019


samedi 1 juin 2019

La morale, mère de toutes les dissensions


Contrairement à ce que pouvait penser Descartes, la chose la mieux partagée au monde n'est pas le bon sens mais l'envie de pourrir la vie d'autrui. Voilà d'ailleurs l'une des caractéristiques les plus affligeantes de notre espèce : le fait que, pour faire passer la pilule de ses désirs de nuisance, rien ne vaille leur enrobage dans un dessein bienveillant. Le tour de passe-passe se fait avant tout de soi à soi et de manière parfaitement inconsciente, tant cela garantit sa réussite. Mis à part quelques rares psychopathes, personne ne va emmerder son voisin pour la beauté du geste et tout le monde sera persuadé de le remettre dans le droit chemin (si ce n'est directement pour son bien, alors ce sera pour celui du voisinage). C'est par un tel processus de « justification morale », comme le désigne le psychologue Albert Bandura, qu'une volonté de destruction se transforme en phénomène individuellement et socialement acceptable. Et plus les causes qu'on s'imagine servir sont grandioses, plus nombreux et durs seront les coups permis, avec l'ineptie des premières galvanisant la férocité des seconds. Car la cruauté est d'autant plus sûre que les idées défendues sont débiles – « qui est en droit de vous rendre absurde est en droit de vous rendre injuste », écrivait Voltaire. La morale n'est pas qu'un métaphorique écran de fumée, elle est un redoutable camouflage à motivations fumeuses parce qu'elle nous permet littéralement de ne pas en avoir conscience. Sauf que se croire armé des meilleures intentions du monde est le meilleur moyen d'occulter les massacres nécessaires à leur concrétisation.

Mais comme les forces vont souvent par paire, l'humain est aussi doté d'une fâcheuse tendance à ne pas aimer qu'on l'emmouscaille. Avant d'accepter qu'on lui grignote l'autonomie, il exige de bonnes raisons. Si elles ne viennent pas et qu'elles tyrannisent par trop son intelligence en étant contradictoires, incompréhensibles ou invraisemblables, alors les chances sont élevées qu'il en vienne à ruer dans les brancards. Oui, nous sommes décidément de sales bêtes : plus nous nous sentons contraints à cibler le bien, plus nous prenons un malin plaisir à exercer notre liberté en visant à côté.

Le 14 mai dernier, Andréa Kotarac, élu La France Insoumise au conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes, annonçait rendre son tablier et appelait à voter pour le Rassemblement National lors de l'imminent scrutin européen afin de « faire barrage » à la liste Renaissance soutenue par Emmanuel Macron. Parmi les motifs de sa défection, Kotarac citait l'hégémonie de plus en plus marquée de « concepts diviseurs » au sein de sa formation politique, des concepts vecteurs d'une « balkanisation » et d'une « communautarisation de la société française ». Il donnait, entre autres, l'exemple de l'écriture inclusive.

Sans partager ni l'orientation idéologique du bonhomme ni ses consignes de vote, ce dernier constat est le mien depuis des mois : parce qu'elle repose sur des analyses linguistiques et sociolinguistiques indigentes et sur des arguments historiques erronés, l'idée que l'écriture inclusive serait au service d'une lutte bienveillante contre les inégalités sexuelles fait partie de ces fausses croyances qui, pour être mises en œuvre, nécessitent l'assistance d'un autoritarisme persuadé d'être moralement justifié. Le plus pathétique, mais aussi le plus glaçant dans l'histoire, c'est que ses céroféraires semblent ne pas voir le mur sur lequel leurs belles promesses vont s'écraser. C'est bien le problème avec l'utopie, le rappelle l'essayiste et journaliste britannique Peter Hitchens, « l'atteindre exige de traverser une mer de sang sans jamais toucher l'autre rive ».


Version originale de l'éditorial paru dans Le Point n°2438