dimanche 23 mars 2008
Fracture numérique
Si j'étais nostalgique, cela pourrait m'émouvoir.
Eternalisme attalien
Dans la typologie que proposent Alexander Bard et Jan Söderqvist, il y a l'éternaliste. Celui qui surplombe, qui analyse, l'équivalent métaphorique du philosophe des temps précédents. Jacques Attali est de ceux-là ; ici dans l'extrait d'un plus qu'excellent documentaire dont je commenterai le reste en ce lieu, bientôt.
A noter le succulent :
Trois quarts des patrons du Cac 40 ne répondent pas directement à leurs emails, pareil pour les parlementaires. Soit-disant parce qu'ils sont débordés, mais en réalité, c'est parce qu'ils ne savent pas s'en servir ou parce que cela leur semble indigne de leur statut social.
samedi 22 mars 2008
J'aurais voulu l'avoir dit
La morale ce n’est rien ; c’est une vision aberrante du réel.
Cynique ta mère

Évidemment, comme les épicières qui tricotent sur la place de Grève, j'aime bien assister aux enterrements, par curiosité malsaine, et j'adore ralentir sur l'autoroute lorsque je croise un accident – pour résumer, je me rends régulièrement sur le site de Mediapart. Et on ne sait jamais, un miracle est si vite arrivé.
Aujourd'hui, ceci : Un papier interview vidéo d'Antoine Perraud, autour du dernier roman de Stéphane Osmont, L'idéologie. Je ne dirais rien sur le livre, je ne l'ai pas lu, si jamais je le fais, peut-être, mais là, je vais me contenter de l'article.
La partie écrite joue à fond le registre du « mais que veut nous dire au fond cet auteur ? Ce qu'il met dans la bouche et la tête de son personnage, le pense-t-il vraiment, en vrai ? Retour tout de suite, avec le principal intéressé... » et n'aurait absolument aucun intérêt si on n'y décelait la doxa Mediapart dans ces lignes :
Crachant sur les journalistes citoyens et autre « peuple reporter », Evariste Kolawski [personnage d'Osmont, ndlr] pollue de son cynisme envahissant le cyberespace en concrétisant à sa façon le dogme du Web coopératif : « Les connaissances d'une communauté interactive contiennent davantage de vérité que les certitudes d'un expert. Mort aux journalistes, aux clercs, aux élites en général. Vive les anonymes, les novices et pourquoi pas les cancres s'ils se soumettent au débat collectif. » Cette façon de pervertir la transparence démocratique au gré des frétillements d'un site fangeux [référence au site du personnage dans le roman, ndlr] ne pouvait qu'interpeller, aux antipodes : Mediapart !
Evidemment, dire de telles choses, c'est forcément cynique quand on a comme intention de faire croire au peuple que des individus qui ont échoué dans la presse « traditionnelle » (voir à ce sujet cet excellent article – et drôle, cela ne gâche rien) pourront se refaire une virginité sur Internet, même si elles n'y connaissent rien, qu'elles découvrent la chose comme une poule découvrirait un couteau (oui, je me répète) et qui n'ont donc qu'une intention : y faire leur nid. Mediapart, évidemment, les anonymes [dont on ne connaît pas le nom, ndlr], les novices [qui n'ont pas été adoubés par les bonnes personnes, ndlr], les cancres [ceux qui ne sont pas diplômés des écoles de journalisme, qui n'ont pas la carte du Parti, le sceau royal, la marque de crédibilité que tout le monde, c'est-à-dire le milieu, reconnaît, etc., ndlr], ça les dérange, tant ça remet en question l'utilité – si ce n'est l'intérêt - de leur existence, que ça interroge la réalité des codes et des repères qu'ils croyaient immuables, pour ne pas dire vrais...
Certes, mais qu'en pense (car la question a son importance), le « fameux » Stéphane Osmont ? Dans la partie vidéo, ce dernier, visiblement – il se pourrait bien que je me trompe – prend le contre-pied de son personnage. Selon l'inénarrable antienne du « aujourd'hui, ce n'est plus comme hier », Stéphane Osmont se demande : « avec Internet, tout le monde a accès à des images, à de la musique, mais est-ce que pour autant Internet n'abolit pas définitivement la capacité à comprendre le monde, c'est à dire à savoir d'où nous venons, ce que nous faisons ensemble, et ce vers quoi nous allons ? » Un peu plus loin, on pourrait presque croire qu'il se « plaint » de la disparition des « intellectuels qui mettent un peu d'ordre dans le chaos du monde ». Le tout mâtiné d'un « air du temps » dont on peine à deviner à quoi il fait référence : après tout cet « air du temps » n'est-il pas le produit des clercs, et autres « faiseurs de compréhension du monde » dont Osmont note (pour ne pas dire déplore) la disparition ?
Reste à savoir si "l'ordre" et "la capacité à comprendre le monde" existent réellement, si les poinçonneurs et les pompistes ont bien fait de disparaître, et si un moineau plongé dans un bocal peut bien vite développer des branchies. Amis d'un passé qui n'existe plus et d'un présent qui n'est pas encore là (ou presque), restez à l'écoute !
samedi 15 mars 2008
Ya pas que le cul dans la vie !

Le 25 février dernier, j’ai eu l’insigne honneur d’être invitée par John B.Root lui-même à la projection de son dernier film, Ludivine. Pour ceux qui ne le savent pas encore, je n’étais pas née lors de cette parenthèse enchantée de 1974-1975, quand le législateur, atteint certainement d’un pet au casque fatal, autorisa les films pornographiques à coloniser les salles normales. Mais c’est un peu de ce souvenir artificiel qui fut proposé ce soir-là : sortir le porno des images, des alcôves, des cabines des sex-shops, d’internet… Regarder un film, du début à la fin, avec un scénario, des dialogues, de l’humour, de la musique...
Evidemment, Ludivine n’est pas un chef d’œuvre du 7ème art, il a été tourné en cinq jours, il n’a pas profité de subsides d’Etat ou d’autres grosses huiles, mais il possède quelque chose. Certainement cette tristesse, au fond présente dans tous les films de John B. Root (Xperiment, à mon sens, le meilleur), la tristesse de celui pour qui il n’y a rien de mal et qui encore et toujours, cependant, continue à se faire taper sur les doigts.
Cette tristesse, John B.Root l’a incarnée dans son personnage-double de réalisateur – il y a bien des écrivains qui écrivent des histoires d’écrivains qui écrivent – , Roberto Falcone (Francesco Malcom), pornographe sur le retour et dépressif. Le tournage mis en scène sera d’ailleurs le dernier : épuisé, blasé, cherchant son talent perdu (bien que personne ne l’ait vraiment vu, comme l’atteste ce délicieux passage où Ana Martin récite à peine déguisés les titres de B.Root « ZZZ, Italian Beauty, ça m’a fait trop chier, et franchement l’Expérience, j’ai arrêté au bout d’un quart d’heure tellement je ne comprenais rien »), Roberto planifie son suicide après son dernier tour de manivelle. Le pornographe récite I’vo piangendo (Je m’en vais en pleurant) de Pétrarque, face au vide quand son assistante se fait enculer et que sa perchiste (juste après avoir discuté de son DEA « formes et figures du suicide chez Emir Kusturica ») suce le producteur… mais retrouvera libido, joie de vivre et goût de l’amour grâce aux tours de magie de Ludivine, ou Lullu (« avec deux l ») un ange dépêché sur place par le « Patron ». Remake hard de « La vie est belle » de Capra, Ludivine de John B.Root, démontre à qui veut bien se donner la peine d’ouvrir les yeux, qu’un autre porno est possible.
Boum Boum

Maintenant, pourquoi donc en parler ? Parce que je vois ce film comme l’indicateur d’un certain esprit français actuel, et que cet esprit est tragi-comique – voire carrément burlesque. Non content d’avoir perdu la bataille de l’esprit, le Français (intellectuel, sérieux, artiste engagé, ça coule dans ses veines et l’histoire est derrière lui) continue à croire qu’il peut jouer les challengers dans celle de la morale. Cet esprit donneur de leçon et grosses ficelles, excluant toute distance, finesse ou perspective et privilégiant la simple et brutale mise en scène d’un message, qui ne regarde finalement que son émetteur, mais dont cet émetteur pense néanmoins qu’il tient là une vocation universelle. Avec MR 73, Olivier Marchal a voulu « au-delà de l'intrigue policière, réaliser un film sur la rédemption et l'oubli comme condition de notre existence. ». Certes, mais l’existence de qui ? la question n’est jamais venue sur la table…
L’existence de singes pleutres, très certainement, de ceux qui croient que s’ils se prennent un éclair sur la gueule, c’est parce qu’ils ont bouffé la banane de leur copain, qu’il y a un lien – Auteuil tringle sa collègue, donc sa femme et sa fille sont victimes d’un terrible accident (bah ouais, punition quoi). L’oubli, c’est la picole, la rédemption, c’est big-monkey qui prend son big-gun et va cass’ la tête des méchants, parce que dans un monde où la civilisation a échoué (police, justice, tous pourris, ndlr) c’est toujours plus efficace de démonter un crâne à coup de crosse (quand ce crâne c’est celui du krékéméfan, donc flic aussi, donc un peu de la famille, donc tuage à mains nues, capice ?) ou à coup de balle (quand le crâne c’est celui du tueur-pervers-non-rédemptionné, donc pas la même race, donc distance, ok ?). Et rédemption de la rédemption, donc suicide, parce tuer des gens, c’est mal (faute-punition-rédemption-mauvaise conscience…).
Pour résumer la profondeur psychologique de ce film, on pourrait citer les propos tenus par la mère d’une victime d’un crime horrible quand Auteuil lui rend visite « au fond, on ne sait pas pourquoi on continue de vivre après un tel malheur, mais on le fait, la vie nous tient ». Bouffe-chie-dort quoi, la preuve, MR 73 se termine sur un accouchement…
vendredi 14 mars 2008
Is there life on Mars ?

En réaction, l’Eglise catholique brésilienne a distribué plus de 600 fœtus en plastique dans les 264 paroisses de Rio de Janeiro pour qu'ils soient présentés au cours de messes célébrées en défense de la vie.
Et ouais.
Matraque
Dans son dernier ouvrage, Bernard Stiegler nous fait l'éclatante démonstration de ce que peut-être une expression coercitive. En deux mots, Bernard Stiegler a un très gros problème avec une publicité pour Canal J, où des enfants goguenards pointent du doigt leurs parents et grands-parents faisant les pitres, avec la mention « les enfants méritent mieux que ça » (sous-entendu, pour que tout le monde comprenne bien, ils méritent de se divertir en regardant Canal J plutôt que d'admirer les gatouilleries de leurs ancêtres). Et ça, Bernard Stiegler, ça le met dans une rage folle, tel est le paradigme qui fait que les choses vont mal et que le monde marche sur la tête, régi désormais par des valeurs d'irresponsabilité, d'immaturité, de désir à satisfaire immédiatement, de courte vue, de caprice – bref par des sales gosses, partout et tout le temps, au sens propre comme au figuré : c'est affreux. En plus, la télé ça rend con, c'est prouvé scientifiquement, alors vite aux armes noopolitiques !
J'ai dit deux mots, et j'épargnerais à mon rare et cher lecteur toute la besogne que requiert la lecture d'un tel ouvrage. Outre qu'on y retrouve, telle une blague trop lourde, tous les poncifs du philosophe tâcheron (quinze concepts par page, nombre inversement proportionnel aux bases factuelles, des évidences tombées de nulle part, du grec, de l'allemand, des références antérieures à 1950 – sauf quand elles renvoient aux propres ouvrages de l'auteur, etc.), le point de vue de Bernard Stiegler est tout entier un rappel à l'ordre. N'en témoigne que la dernière phrase (assez courte, une fois n'est pas coutume) :
Mais il faut alors tirer les conséquences du savoir récent sur ce qu'il en est de l'état des âmes, sur ce qui les détruit, et sur les possibilités de les reconstruire à partir de ce qui les a détruites – à condition de renverser profondément la situation de cette puissance qu'est devenu le psychopouvoir, et de la soumettre aux contraintes prescrites par une psychopolitique menée au service d'une noopolitique et à travers une politique industrielle des technologies de l'esprit.
(c'est moi qui souligne)
mercredi 12 mars 2008
La trouille

Nous avons construit notre survie à coups de protection, d’armes, de prévisions et de frontières. A l’abri.
Nos gènes portent la crainte, l’effroi, la peur du noir, cette vulnérabilité qu’on voudrait nous faire croire intrinsèque à une condition que personne n’interroge.
Le temps des singes pleutres se termine-t-il ? Difficile à croire, tant ils sont de plus en plus nombreux, serrés les uns contre les autres, au chaud - invention de nouvelles craintes et élimination de la mise en perspective.
A moins que dans les vents du changement se cachent des hyènes, cette fois-ci tangibles.
lundi 10 mars 2008
Mimic
samedi 8 mars 2008
Procès d’intention

C’est aussi le marronnier des interventions médiatiques, de diverses figures officielles, pour faire des mises au point et donner des avis sur les choses qui changent et celles qui stagnent, des explications à proposer, des éclairages à permettre, bref, tout ce qui fait le quotidien d’un animal parlant doté d’artefacts techniques lui permettant de transmettre cette parole.
Chose étrange, depuis que je suis moi-même assermentée à transmettre officiellement la bonne parole de la pensée qui est la mienne (via un ouvrage qui sortira à la rentrée ndlr), je m’imagine régulièrement être en position de répondre en vrai à des individus qui, préalablement, n’étaient que l’objets d’éructations privées à destination d’outils bien incapables de débattre à leur place – revues, livres, radios, télévisions, etc.
Alors je teste, un peu malgré moi, toujours, les effets d’une telle pensée sur les cerveaux de mes contemporains. Une tendance commence à se distinguer : celle du déterminisme.
Si je dis que mon projet est de distinguer une lacune dans le féminisme, à savoir l’univoque concentration sur les versants sociaux de l’inégalité homme/femme sans en interroger les fondations biologiques et évolutives, un tel propos appelle irrémédiablement (en moyenne disons) le brandissement du drapeau « halte au déterminisme biologique ! ».
Si l’idée sous-jacente à un tel drapeau est que j’aurais l’intention de fixer les hommes et les femmes dans leur rôles, pour les premiers de singes agressifs, et pour les secondes d’utérus à pattes, ce serait bien mal me comprendre.
Je pense toujours qu’il n’y a pas de plus enivrante liberté que celle qui vise à connaître ses déterminations, et qu’une des plus excitantes leçons de la théorie de l’évolution est celle qui nous permet d’infléchir cette évolution, quelques soient les sens qui nous paraissent désirables.
dimanche 2 mars 2008
Vous me mettrez une livre d’humiliation

la métaphore qui consiste à dire qu’on ne se prostitue pas plus en louant l’usage de son sexe que celui de ses mains, de ses jambes, ou de son cerveau…Franchement, pour l’instant, je suis incapable de justifier théoriquement ma position. Je ne sais pas quelle est la différence, c’est vrai. Mais je ne me sens pas « prostituée » en travaillant pour le CNRS.
Notons tout d’abord cet aveu de « non-scientificité », un recours à l’affectif, plutôt louable dans un contexte où l’on a tôt fait de confondre ses goûts personnels avec ce qui s’impose à tous via les diverses législations qui régissent les existences individuelles. Je ne suis pas du genre à refuser aux autres le droit de donner leur avis, au contraire, je pense sincèrement qu’il me serait difficile de vivre dans un monde de clones cognitifs, sans possibilité, si ce n’est de me confronter, ne serait-ce que d’entendre des opinions qui ne sont pas les miennes. Ici, en l’occurrence, je comprends tout à fait la métaphore et j’y adhère. Que Christine Delphy ne se sente pas « prostituée » en travaillant pour le CNRS, grand bien lui fasse, de même que d’autres ne doivent pas de sentir « travailleuses pour le CNRS » en se prostituant …
Mais plus loin, la sociologue précise :
Pour moi, d’une manière affective, la sexualité est et surtout doit être autre chose
On passe donc d’un registre personnel, affectif, non rationnel et rationalisable (Christine Delphy avoue l’impossibilité d’une justification théorique) à celui du « doit », donc de ce qui doit s’appliquer à tous, par voie de généralisation volontaire (pour celles et ceux qui partagent cette affectivité d’une sexualité qui est « autre chose » que boire, dormir, sortir les poubelles ou ôter les bourres de poils de son chien) ou forcée via la loi (pour ceux et celles qui ne font pas de leur sexualité, partiellement ou entièrement, quelque chose d’ « autre »).
Et à l’impossibilité de théorisation première succède, rapidement et sans crier gare, une justification pour le moins « bizarre » :
Mais qu’est-ce que c’est qu’un « rapport sexuel ». Cela existe-t-il comme entité technique indépendante de ce qu’est, justement, le rapport avec qui il fait cet « acte » ?
En gros, il n’y a pas de location de sexe possible, dans le cas de la prostitution, puisque ce n’est pas un sexe qu’on loue mais, ou mieux un « rapport » impliquant deux (voire plus) personnes. Je félicite Christine Delphy d’avoir un métier totalement indépendant, et qui ne se fait sans aucun « rapport », mais je pense rapidement aux téléopérateurs, voire aux kinésithérapeutes, qui, a priori, auraient du mal à exercer leur métier (et donc à vendre ou à louer leur savoir-faire) sans aucun « rapport » qui fait l’ « être » de leur activité… En gros, ce qui gênerait Christine Delphy, ce serait le côté non délimitable de la chose « vendue » ou « louée » dans la prostitution (on parle de location ou de vente de sexe, mais certaines pratiques SM, par exemple, sont dénuées de toute « génitalisation », il arrive qu’une prostituée ne fasse que parler ou prodiguer des gestes de tendresse à son client, etc.) mais dans ce cas, sa justification théorique qui n’en est pas une, devrait aussi s’intéresser à tout le commerce de l’impalpable, c’est-à-dire à celui des services…
S’il est impossible de délimiter « 300g de rapport sexuel », argument ultime pour faire que la sexualité « doive » être autre chose, et donc qu’elle ne puisse s’insérer dans une logique marchande, Christine Delphy termine son raisonnement par une pirouette qui pourrait faire rire, si elle n’était pas, dans les faits, ce genre de métaphysique honteuse d’elle-même, n’était à l’origine de la difficulté, souvent tragique, qu’ont les prostitué-e-s à travailler sereinement, au moins aussi sereinement d’un expert comptable, et si jamais un « travail » est jamais « serein »…
Dans la prostitution, la signification qui est négociée entre les protagonistes, c’est l’humiliation de la personne qui « se vend », c’est cette humiliation que l’acheteur achète et dont il jouit, et non une activité mécanique pour laquelle il n’a pas besoin de partenaire ».
Sous-entendu donc : demander de l’argent pour avoir un rapport sexuel, alors que tant de gens, dans le « vrai » monde (des travailleurs du CNRS par exemple), peuvent avoir des rapports sexuels gratuitement, c’est humilier celui ou celle qui le reçoit …Je pense que pour le « sens commun », l’humiliation serait inverse, mais certes, je n’ai peut-être pas une connaissance étendue de ce qu’est le « sens commun ». Mais ce qui me gêne vraiment, plutôt qu’une opinion qui serait en porte à faux avec une prétendue vérité d’une autre opinion plus répandue, c’est que Christine Delphy, qui pourtant est l’une des premières à recourir à des processus socio-culturels et historiques pour expliquer l’existence de réalités dont une approche biologique ferait plaisir à Occam et son rasoir, tombe les pieds joints dans ce que j’appellerais une tentative de naturalisation du culturel.
Que les rapports de genre soient modelés par l’histoire et la « société », c’est une évidence pour Christine Delphy, parler d’une femme en termes de vagin, d’utérus, et des processus bio-chimiques qui l’accompagne, et qui ne sont pas les mêmes quand on possède une bite et des couilles, c’est réducteur, c’est déterminant, et c’est impensable (voire c’est un mensonge pseudo-scientifique)…sauf quand il s’agit d’un-e pute, qui ne profite pas des millions d’années d’évolution, de diversification, de complexification de la sexualité comme pratique devenue « culturelle ». Un-e pute restera toujours une bête, un individu proche du débile mental, sans volonté propre - et si elle n’est pas son sexe, elle le deviendra…
Si Christine Delphy se demande ce qui, techniquement et matériellement, délimite un « rapport sexuel », je lui demanderais ce qui, techniquement et matériellement, délimite « l’humiliation » et si elle peut se faire sans un rapport avec qui elle fait cet acte d’humilier…
Si le rapport sexuel ne peut faire l’objet d’un échange argenté, parce qu’il n’est pas un objet indépendant des individus (avec leurs personnalités, leurs faiblesses, leurs sensibilités, blabla) qui consentent à cet usage, en quoi l’humiliation est-elle achetable, matérialisable, technicisable ?
Pour tourner encore la cervelle dans tous les sens, je me demande comment peut humilier un masochiste qui cherche à être humilié, et qui quelquefois paye pour ressentir (et jouir de) ce sentiment d’humiliation : faudrait-il inventer un nouveau concept d’humiliation de l’humiliation, voire de l’humilié humiliant ?
Autrement dit, je n’empêche pas à Christine Delphy de penser que dans le sexe, on peut s’humilier, être humilié, etc., je ne lui en veux même pas de croire en l’humiliation, je lui demanderais juste de m’apporter, pour voir, une livre d’humiliation.
(sur un plateau)
Marcela Iacub : Entretien dans Libération, édition du 29 février 2008

On s’est contenté de changer le contenu des contraintes. Il est faux de croire qu’on n’est passé d’un monde dans lequel on était accablé par des contraintes injustes, vers un régime de liberté sexuelle et procréative. Ce vieux maître rigide qu’était le mariage a été remplacé par un autre, tout aussi arbitraire, et, sans doute, plus redoutable encore qui est le sexe. Par ceci, j’entends un ensemble de normes juridiques qui a fait de la sexualité, non seulement le fondement des liens de filiation au détriment de la volonté, mais aussi la chose la plus importante en ce qui concerne notre bien-être psychique. La sexualité n’est pas une activité libre gouvernée par le seul consentement, mais quelque chose d’extrêmement délicat et dangereux qui peut, à tout moment, mettre en miettes notre santé mentale et notre avenir.
Quels ont les effets des réformes de cette époque comme la contraception ou l’avortement ?
La famille n’est plus organisée autour du mariage mais du ventre fertile des femmes. On met souvent en avant le fait que ces nouvelles lois ont permis aux femmes ne pas être enceintes lorsqu’elles ne le souhaitent pas. Ce faisant, on oublie le principal, c’est-à-dire que ce sont elles seules qui ont le pouvoir de faire naître. Ainsi, l’homme n’a pas le droit de demander à une femme d’avorter. C’est quand même un peu gonflé que l’on puisse encore imposer à un homme une paternité non désirée. Cela signifie que la liberté procréative n’est pas complète, car elle ne concerne que la moitié de la population. Les féministes traditionnelles voient cela comme une vengeance contre les hommes et le patriarcat.
Dans la situation présente, les femmes continuent à être le pivot de la reproduction de l’espèce. C’est pourtant un pouvoir qu’elles auraient intérêt à partager à égalité avec les hommes, si elles souhaitent s’investir davantage dans la vie professionnelle, sociale et politique. Et cela engagerait aussi les hommes d’une toute autre manière.
Vit-on aujourd’hui une pleine liberté sexuelle ?
La sexualité peut être consentie, mais pour autant pas autorisée dans le droit actuel. Il en va ainsi de la sexualité commerciale (prostitution) et tout ce qui l’entoure. Il en va de même de certaines pratiques sexuelles : les jeunes entre 15 et 18 ans ont, en principe, le droit d’avoir des rapports sexuels à deux de tout type, y compris avec les majeurs. Mais les pratiques qui supposent la présence de plusieurs partenaires, d’une manière concrète (partouzes) ou indirecte (prises de photos), ne sont autorisées qu’aux majeurs de 18 ans.
Plus généralement, je crois que le sexe a été un formidable alibi pour que l’Etat casse les instances intermédiaires qui s’occupaient de gouverner la vie privée : la famille, l’école, les églises. C’est dorénavant le droit, et surtout le droit pénal, qui est devenu l’arbitre des conflits interpersonnels, au détriment d’autres normes morales, disciplinaires ou de politesse.