samedi 1 septembre 2012

Citation


Notre société, où règne un désir âpre de luxe et de richesse, ne comprend pas la valeur de la science. Elle ne réalise pas que celle-ci fait partie de son patrimoine moral le plus précieux, elle ne se rend pas non plus suffisamment compte que la science est à la base de tous les progrès qui allègent la vie humaine et en diminuent la souffrance. Ni les pouvoirs publics, ni la générosité privée n'accordent actuellement à la science et aux savants l'appui et les subsides indispensables pour un travail pleinement efficace.  
Marie Curie, Pierre Curie, 1923 

dimanche 20 novembre 2011

Citation

Les vieux n’ont rien à dire, a dit Reger, mais les jeunes ont encore moins à dire, voilà la situation actuelle. Et, naturellement, tous ces gens qui font de l’art ont la vie trop belle, a-t-il dit. Tous ces gens sont bourrés de subventions et de prix, et à tout moment il y a un docteur honoris causa par-ci et un docteur honoris causa par-là et une décoration par-ci et une décoration par-là et à tout moment ils sont assis à côté de tel ministre et, peu après, à côté de tel autre, et aujourd’hui ils sont chez le chancelier et demain chez le président du parlement et aujourd’hui ils sont à la maison des syndicats des socialistes et demain à la maison de la culture des ouvriers catholiques et se font fêter et entretenir. En vérité, les artistes d’aujourd’hui ne sont pas seulement si menteurs dans leurs prétendues œuvres, ils sont tout aussi menteurs dans leur vie, a dit Reger. L’ouvrage menteur alterne constamment, chez eux, avec la vie menteuse, ce qu’ils écrivent est menteur, ce qu’ils vivent est menteur, a dit Reger. Et puis ces écrivains font des tournées de lecture comme on dit, et ils voyagent en tous sens dans toute l’Allemagne et dans toute l’Autriche et dans toute la Suisse et ils n’omettent aucun trou de province, si stupide soit-il, pour y lire à haute voix des extraits de leur merde et se faire fêter, et ils se font bourrer les poches de marks et de schillings et de francs, voilà ce qu’a dit Reger. Rien n’est plus répugnant que ce qu’on appelle une lecture de poète, a dit Reger, il n’y a guère de chose que je déteste plus, mais tous ces gens ne voient rien de mal à lire partout leur merde à haute voix. Au fond, cela n’intéresse personne, tout ce que ces gens ont bien pu écrire au cours de leurs razzias littéraires, mais ils le lisent à haute voix, ils se produisent en public et le lisent à haute voix et ils s’inclinent bien bas devant n’importe quel conseiller municipal débile et devant n’importe quel maire stupide et devant n’importe quel badaud germaniste, voilà ce qu’a dit Reger. De Flensbourg à Bozen, ils lisent leur merde à haute voix et se laissent entretenir sans le moindre scrupule, impudemment. Il n’y a rien de plus insupportable pour moi qu’une soi-disant lecture de poète, a dit Reger, c’est répugnant de s’asseoir là et de lire à haute voix sa propre merde, car tous ces gens en vérité ne lisent à haute voix rien d’autre que de la merde. Quand ils sont encore très jeunes, passe encore, a dit Reger, mais quand ils sont plus âgés et qu’ils atteignent déjà la cinquantaine et plus, c’est tout bonnement écœurant. Mais ce sont justement ces écrivains plus âgés qui font partout ces lectures, a dit Reger, et ils montent sur toutes les estrades et ils s’assoient à toutes les tables pour déclamer leur poésie merdique, leur prose stupide, sénile, voilà ce qu’a dit Reger. Même lorsque leur dentier ne peut plus retenir dans la cavité buccale aucune de leurs paroles mensongères, ils montent sur l’estrade de n’importe quelle salle des fêtes et lisent leurs idioties charlatanesques, voilà ce qu’a dit Reger.

Thomas Bernhard, Maîtres anciens

samedi 21 mai 2011

Comme beaucoup de messieurs

« Vivre dans cette société, c’est au mieux y mourir d’ennui. Rien dans cette société ne concerne les femmes. » Voilà ce que je me répète, en boucle, depuis dimanche. Depuis le début de cette affaire, dont il importe vraiment peu que son accusé soit coupable ou pas. Non, cela ne change rien.

Depuis dimanche, je vois la queue leu leu de ses thuriféraires comme des bouteilles de verre sur un mur, qui tombent, une à une, faisant enfin de la place, me donnant enfin l'occasion de reprendre mon souffle.

Sauf que cette respiration ne vient pas, ou alors entre deux apnées, la tête sous l'eau, le corps qui pédale. Le spectacle flou, lointain, d'un débat qui dévie sur des questions annexes, pour les mêmes raisons politiques qui ont fait que l'accusé a pu, jusqu'ici, devenir reine du bal. Plein de petites fourmis déboussolées autour d'une allumette, qui continuent à cacher bien poliment sous le tapis les choses qui fâchent, à oublier l'appui où ça fait mal, à rester docilement dans les plate-bandes de la politique correcte : « Art de conduire les affaires de l'État, science et pratique du gouvernement de l'État ».

« Vivre dans cette société, c’est au mieux y mourir d’ennui. Rien dans cette société ne concerne les femmes. »

Certes, au départ, la distance, le rire, l'humour permettent de survivre (et c'est fondamentalement à cela qu'ils servent), et j'en ai profité, première concernée, de leur formidable pouvoir anesthésiant. L'essentiel, c'est de ne pas se rendre compte de ce qui se joue, s'étirer les nerfs aux maximum, ne pas s'user. Surtout ne pas s'user.

Car contrairement à ce que certains de mes détracteurs semblent penser, ma « formation » darwinienne ne me rend pas « ambiguë » face au viol, au contraire, loin de là : tout ce que cette dense littérature m'a appris, c'est que tout homme est un violeur en puissance, qu'il faut juste quelques circonstances, de minimes variations environnementales, pour que tout bascule. Non, il faut être précis : pour que tout se mette en place. Les carrés avec les carrés, et les ronds à la chaîne. Banalité prévisible d'une source qui coule, de haut en bas.

Alors non, excusez-moi, mais vraiment pas, l'argument de l'insoupçonnabilité ne prend pas. S'il n'y avait qu'un sujet à retenir, d'ailleurs, qu'un axe à trouver, ce serait celui-là : l'homme insoupçonnable. L'homme brillant, vaillant, avec tous ses amis en rang d'oignon, main dans la main en file indienne, l'homme qui a toutes les apparences pour lui, celles qui les font tou(te)s tomber de leur chaise (qu'on se rassure, elle n'était pas très haute), l'homme avec ses traits tirés et sa mine déconfite, l'homme et sa descente aux enfers, les larmes aux yeux, l'homme et son suicide médiatico-politique.

Ce n'est pas grave non, vraiment pas grave qu'un suicide, ça se passe en général seul avec ses comptes à régler, et pas en éjaculant de force dans la bouche d'une femme de ménage. Un attentat-suicide, alors. Oui, peut-être. On s'en rapproche.

L'homme qui gagne à tous les coups, l'homme et son impunité, l'homme et son embarras du choix, la proie qui saute l'occasion, tirée au hasard parmi les « perdus d'avance ». Il est là le bon terme, en fait, « perdu d'avance », pas dominé, pas noir, pas femme, pas pauvre. Perdu d'avance. Le large spectre, le stock inépuisable des perdus d'avance.

Dans Il faut qu'on parle de Kevin, la narratrice essaye d'expliquer combien aucun homme ne peut comprendre la peur que son sexe peut provoquer chez une femme. Que ça fait partie de ces rares choses qui surpassent toute empathie, de ces choses qui ne se communiquent pas. Et pourtant, on dit « objectivité », comme dans « ceux qui ont connu le viol ne sont pas objectifs », alors que ce que je vois, moi, chez ceux qui ne connaissent pas ce que ça fait, cette peur collante, c'est juste de l' « ignorance ».

Alors, oui, bien sûr qu'il n'y a pas qu'un seul son de cloche, que des voix s'élèvent, qu'on parle d'insulte faite à toutes les femmes, d'atteinte à leur dignité. Mais il n'y a pas d'insulte, de dignité, ce n'est pas de concepts dont il s'agit, ce n'est pas de l'immatériel, ce ne sont pas des symboles, c'est de la peur. La grande grosse et grasse et primitive peur, la peur de crever, la peur de la soumission à la volonté d'un tiers, sans aucune autre issue que d'attendre que ça passe. La peur des minutes qui défilent à toute vitesse et de celles qui s'étirent comme des heures, l'horizon totalement bouché sur cette seconde respiration qui ne vient décidément pas.

C'est drôle d'ailleurs, quelque part, d'en voir beaucoup parler de suicide, alors que la seule mort volontaire (ou mort plus forte que toi) de l'histoire, c'est celle de ce suicide-induit qu'est le viol, comme ces parasites qui rendent certains insectes zombies et les forcent à se jeter dans l'eau.

C'est drôle aussi, cette carte de l'insoupçonnabilité, une valeur si évidente, si visible, si tellement impossible de passer à côté, qu'elle épargne pourtant la principale intéressée. Celle qui aurait dû se méfier, ne pas sortir seule, ne pas s'habiller ainsi, regarder sa montre, changer de trottoir, fermer sa porte, ouvrir sa porte, crier, se taire. Qu'importe, c'est perdu d'avance. Vouloir + pouvoir = perdu d'avance.

C'est drôle, oui très drôle, ces effets de manche le nez pincé. Parler de morale, ça fera passer la pilule. Ici, on serine le mensonge que le cerveau des hommes et des femmes est identique, mais cela ne dérange personne d'expliquer que les Français et les Américains n'ont pas la même morale – pas le moindre petit haussement de sourcil, et si besoin prendre un proverbe à la rescousse. On ne sait jamais si des simples d'esprit nous écoutent. Plein. Des tas.

« Vivre dans cette société, c’est au mieux y mourir d’ennui. Rien dans cette société ne concerne les femmes. »

La morale, comme on l'apprend dans les livres, c'est un ensemble de comportements prônés et proscrits dont l'apologie et l'interdiction structurent le fonctionnement d'une société. Une structure et un fonctionnement qui ont besoin de leurs vecteurs, de leurs modèles. A une époque où les médias ont remplacé l'agora et le cœur de meute, et sont devenus la place du marché à l'identification, le message est passé chez les insoupçonnables : pas de souci à se servir sur la bête (elle est même là pour ça). Et le message est passé, bien évidemment, chez les perdus d'avance.

« Vivre dans cette société, c’est au mieux y mourir d’ennui. Rien dans cette société ne concerne les femmes. »

Ces derniers jours, je me suis demandé dans quelle société je préférais vivre. Celle où la violence, l'abus de pouvoir et le viol sont proscrits en théorie, mais pas dans certains faits, car il faut bien que le corps exulte...tout le monde le sait tout le monde se tait ...honneur au possible homme providentiel d'une prophétie autoréalisatrice ? Ou celle où la guerre des sexes est ouverte et la loi de la jungle insurmontable ? Je crois que je préfère encore la seconde option, elle a le mérite d'être claire.

mardi 17 mai 2011

Un si petit monde


Au jeu du « quel est le mot que tu détestes le plus », je crois que je choisirais « classe ». C'est un terme en tout cas qui, très souvent, m'appuie sur les côtes et me vide l'intérieur, en me provoquant une colère rentrée et polie, mais terriblement rongeante. Oxydante. Avec un sourire en coin et une respiration gênée.

Classe, une sorte d'adjectif ultime, de nec-plus-ultra, d'envie, whaou trop classe, pour la positivité d'un terme qui, lui aussi, va au-delà des mots.

Car ce que j'y vois, ce qui provoque ainsi l'angoisse de tous les nerfs qui se dirigent en grappe vers le plexus, c'est la classe sociale, la population ultime, les individus nec-plus-ultras, l'envie. Cette espèce de modération à toute épreuve, mais qui brille quand même un peu, juste ce qu'il faut, pas plus, pas trop.

Ça m'arrive aussi, mais moins, avec l'« entre soi », ou encore la « retenue », et la « décence ».

Se retenir, être décent, ne pas trop en dire et ne pas trop en faire, faire attention à ce que les mots ne dépassent pas la pensée, et surtout se soutenir, entre soi, se serrer les coudes, tous ensemble tous ensemble hé hé...Rien qui dépasse, encore une fois.

Ce que j'entends dans ce terme, ce n'est ni l'envie ni la jalousie (en quoi une agonie serait-elle enviable ?), mais c'est le mépris, le mépris qui transpire de toutes ces choses, ces gens et ces situations qualifiés de classe. Pas un mépris de moi pour « eux », mais un mépris d'eux pour tout ce qui ne l'est pas – eux –, pour tout ce qui tâche, brille trop. Pour tout ce qui ne se détecte pas, immédiatement, instinctivement, ces animaux qui se sentent la croupe et voient les joues à peine rouges et les cheveux peignés de ceux qui en sont, ceux qui ont leur place bien au chaud bien en haut de l'arbre, et qui termineront leur vie à vouloir à tout prix que personne ne la prenne. Qui montrent du doigt (mais toujours en retenue et en décence) ceux qui cherchent à s'approprier les codes sans y avoir été tacitement invités.

Tacite, tiens, aussi, je n'aime pas.

Toutes ces (petites) mines de dégoût et ces yeux qui se teintent subtilement de rire, pas fragiles, pas fugaces, non, juste : discrets.

Car c'est là aussi une des caractéristiques de la classe : faire ses coups en douce, derrière les rideaux, s'assurer que rien ne se sache, car en toute impunité, rien ne se saura, et dans le cas contraire, les excuses seront en kit : transparence = fascisme, démocratie = populisme, justice = curée – on a toujours besoin d'experts, n'est-ce pas ? Lentement tirer des toiles et des réseaux, la main nourrissant la main suivante, que tout se tienne bien, avertir fermement, mais toujours calmement : n'envisage pas de ne pas jouer selon les règles, il y aura des conséquences. Toi, tu n'as aucun fil à tirer, sinon tout l'édifice s'effondrera, en priorité sur ta gueule.

Ce qui va avec les purges, les vidanges, l'idée qu'un organisme n'est jamais aussi fort que lorsqu'il a surmonté un tas d'infections – effet d'anticorps.

Il y a d'autre formules aussi : les parvenus, les nouveaux-riches, comme si les anciens riches étaient tellement mieux (tellement plus classe !), comme si le sang avait eu le temps de sécher.

vendredi 22 avril 2011

Citation

A haute voix j'ai dit : "Qui est vivant ? qui est mort ?" Personne ne m'a jeté un regard. Au contraire, les corps se sont tassés un peu plus, la tête rentrée dans les épaules. Qui est vivant ? Qui est mort ? Est-ce que c'est possible encore de savoir ça ? Une tête, un tronc, deux jambes et deux bras pour branler le tronc. De la cendre en divague qui agite les ombres : vous appelez ça des corps ? Il n'y a plus de corps. Il n'y a qu'un brouillard de tics. Une déferlante de gestes morts, qui bougent tous seuls, comme ces grenouilles crevées qu'on pique à l'acide : elles réagissent par réflexe. Le réflexe est plus fort que la mort. Alors ça déborde les trottoirs, tous ces tics montés sur pattes, cette forêt de saccades en vrac, de tressautements qui s'accablent. Toute cette hystérie navrée qui grouille et réclame en silence après sa peine.
Yannick Haenel, Cercle

mardi 5 avril 2011

Les filles des 343 salopes vont bien, merci


Plus de 200 000 femmes avortent chaque année en France.

Cet acte, pratiqué sous contrôle médical, est des plus simples. Pourtant, le parcours des femmes qui avortent, lui, l'est de moins en moins :

Le droit à l'IVG est menacé : en pratique, par la casse méthodique du service public hospitalier, et dans les discours, car l'avortement est régulièrement présenté comme un drame dont on ne se remet pas, un traumatisme systématique.

Ces discours sur l'avortement sont des slogans éloignés de ce que vivent la grande majorité des femmes, ils ont pour but de les effrayer et de les culpabiliser.

Nous en avons marre que l'on nous dicte ce que nous devons penser et ressentir.

Depuis le vote de la loi Veil en 1975, a-t-on cessé de prédire le pire aux femmes qui décident d'avorter ?

Nous en avons assez de cette forme de maltraitance politique, médiatique, médicale.

Avorter est notre droit, avorter est notre décision. Cette décision doit être respectée : nous ne sommes pas des idiotes ou des inconséquentes. Nous n'avons pas à nous sentir coupables, honteuses ou forcément malheureuses.

Nous revendiquons le droit d’avorter la tête haute, parce que défendre le droit à l’avortement ne doit pas se limiter à quémander des miettes de tolérance ou un allongement de la corde autour du piquet.

Nous disons haut et fort que l'avortement est notre liberté et non un drame.

Nous déclarons avoir avorté et n’avoir aucun regret : nous allons très bien.

Nous réclamons des moyens pour que le droit à l’IVG soit enfin respecté. Nous réclamons son accès inconditionnel et gratuit mais également la liberté de faire ce que nous voulons de notre corps sans que l'on nous dise comment nous devons nous sentir.


mercredi 16 mars 2011

Citation

Je désire non pas parler de moi, mais épier le siècle, le bruit et la germination du temps. Ma mémoire est hostile à tout ce qui est personnel. Si cela dépendait de moi, je ne ferais que grimace au souvenir du passé. Je n'ai jamais pu comprendre les (...) amoureux des archives familiales avec leurs épopées de souvenirs domestiques. Je le répète, ma mémoire est non pas d'amour, mais d'hostilité, et elle travaille non pas à reproduire, mais à écarter le passé.
Ossip Mandelstam, La Komissarjevskaia, in Le Bruit du Temps

dimanche 6 mars 2011

Magdelon et Cathos

Cela fait un petit bout de temps que cet article me trotte dans la tête. Et c'est la même chose à chaque fois que quelque chose m'énerve, je me demande ce qu'il faut que j'en fasse. Parler ? Pas en parler ? Selon l'idée somme toute assez niaise (j'en conviens) qu'il y a tellement de choses négatives en ce monde, et finalement pas trop de place, pour préférer la transmission de bonnes ondes au pur étalage de scrogneugneu (j'avais prévenu sur la niaiserie).

Mais quand même (voilà c'est l'argument).

En fait, disons-le tout de suite, je n'ai aucun avis sur l'histoire de Servier et du Médiator, parce que globalement je m'en fous. Et comme je m'en fous, je n'ai pas, comme on dit, étudié le dossier. Et comme je n'ai pas étudié le dossier, je n'ai rien à en dire - selon l'autre grand leitmotiv de ma petite vie « quand tu ne sais pas, mieux vaut la fermer, ta gueule » (Wittgenstein, à peu-près).

Non, ce qui m'intéresse (et m'énerve, je le répète), c'est le portrait fait dans cet article d'une femme scientifique. Ah pardon, je m'égare je m'embrouille. D'une femme de formation scientifique, portée sur la vulgarisation et (affreux, horrible), responsable de la communication d'un laboratoire pharmaceutique.

Voici donc les faits : Lucy Vincent, née Kukstas, 53 ans, docteur en physiologie animale (son doctorat, obtenu en 1991, portait sur l'hétérogénéité de la cellule lactotrope de rat au cours de différentes situations physiologiques et le rôle des stéroïdes sexuels), auteur de 4 essais publiés chez Odile Jacob sur « la science » du sentiment amoureux, et actuellement directrice générale des Laboratoires Servier, en charge des relations extérieures.

Pour Rue89, il n'y avait donc pas de meilleure accroche pour parler de cette femme que d'aller voir ce qu'en disait son ex-mari, sur une bonne moitié de l'article (au début, et à la fin, faut ce qui faut). C'est vrai que Lucy Vincent a l'outrecuidance de parler d'amour en termes biologiques et statistiques, mieux vaut la mettre tout de suite le nez dans son caca : ah ah, comme tout le monde, elle s'était entichée d'un homme plus vieux et plus diplômé qu'elle et, ah ah (la coooooooooooonne), elle n'a même pas réussi à le garder ! Bien fait, elle n'avait pas qu'à travailler pour le cacapitalisme « très vendeur » des médicaments sarkozizistes tueurs de diabétiques obèses.

Ensuite, nous remarquerons les petites remarques à peine méprisantes, du genre : « timide au départ », elle « ne s'est pas laissée impressionner par ces grands professeurs, tous au Collège de France aujourd'hui » (...) [b]ien sûr elle n'avait pas leurs connaissances et leur rigueur, ils 'se moquaient' parfois d'elle, mais elle savait ne pas les écouter ».

Bien sûr un doctorat en physiologie animale, ce ne sont pas suffisamment de connaissances et de rigueur - je vous rappelle qu'elle s'est ensuite mariée avec son directeur de thèse, qui, c'est dans l'article, AVOUE AVOIR EU ENVIE DE LA LUI COLLER dès qu'il l'a vue pénétrer (oh oh) son laboratoire. Il n'était donc pas DU TOUT objectif pour juger de ses connaissances et de sa rigueur, tout ce beau diplôme c'est de la merde, d'ailleurs, la cellule lactotrope du rat, tout le monde s'en branle... la preuve, CQFD, merci beaucoup Rue89 pour ces grands moments d'analyse du temps présent qui resteront sans aucun doute dans l'histoire.

Autre élément intéressant de ce portrait de Lucy Vincent, le dénigrement même pas déguisé de son travail. Argument : « Ses thèses ont surpris dans le milieu scientifique. » Qui ? Comment ? On ne le saura pas, Sophie Verney-Caillat préfère filer sa métaphore de l'amour et de la séduction (pour coller à son sujet, tu vois, concept coco) et nous dire que Lucy Vincent n'est qu'une sale petite attention whore assoiffée de projecteurs. On ne saura pas d'ailleurs pourquoi la « surprise » en science est une valeur négative, moi qui pensais que l'innovation et l'originalité (génératrices toutes deux de surprise) étaient souvent liées à la qualité scientifique, j'ai dû, là encore, mélanger mes pinceaux. Il faut dire que mes connaissances, et ma rigueur ne sont pas vraiment des plus parfaites. Qu'on me pardonne. Mea culpa. Je me fouette.

L'article ne se demandera pas, non plus, si, par hasard, ce ne serait pas les projecteurs, en premier lieu, qui sont assoiffés de thèses comme celles que présente Lucy Vincent dans ses livres (par exemple, parce qu'elles s'intègreraient parfaitement et sans y penser à des super dossiers « insolite !!! » de fin d'été, rapidement digérables entre deux encadrés sur la dernière furie du régime-jambon !). Non. Il est toujours plus facile de s'en prendre à ce qui ne menace pas directement votre écosystème. C'est une (idiote) loi de survie. Et très certainement une théorie pseudo-scientifique. Je me fouette. Bis.

Quant à sa carrière de communicante chez Servier, là encore, merci chéri, c'est grâce-à-son-mari que Lucy Vincent a fait carrière chez les médicaments assassins : « 'Elle est rentrée chez Servier sans même avoir été espionnée ', s'amuse Jean-Didier Vincent. » (qu'est-ce qu'on se poile) « 'Être marié à un grand scientifique donne une sorte de sécurité' (...) précise un autre chercheur. ». La voilà, la voie de la bite, celle qui vous fait gravir les échelons de l'accomplissement professionnel via votre vagin ! On (enfin, Sophie Verney-Caillat) vous le dit, on vous le répète.

N'en déplaise à madame la journaliste (oui, moi aussi je peux jouer un jeu misogyno-neuneu si je veux), avec huit citations PubMed (score plus qu'honorable pour une chercheuse d'un laboratoire français), le nom de Lucy Vincent (c'est vrai qu'il fallait avoir la présence d'esprit de faire une recherche avec son patronyme pré-marital, diable ! Ça ne colle pas avec le concept, coco) n'est donc pas vraiment « inconnu » dans la « vraie » littérature scientifique. Et si, comme la journaliste le souhaite, Lucy Vincent est aujourd'hui retournée « dans l'ombre » (après tout, c'est une place féminine de choix, surtout quand on est divorcée du grand mandarin pas du tout médiatique, lui, LOL), ce que j'en retiens, moi, de son article, c'est une parfaite mise en lumière de tous ces petits schémas d'analyse automatiques bien connus depuis les Précieuses Ridicules de Molière, où femme et science ne font pas bon ménage (hi hi). D'ailleurs une femme ne fait jamais de science, une femme ne s'intéresse jamais à la science (la vraie, la dure, nous dit Laure Adler, la spécialiste), une femme ne peut jamais chercher à vulgariser (berk, c'est sale) des recherches scientifiques. Non, une femme se pique de science, voilà ce que l'on dit, dans le dictionnaire des lieux-communs, qui a, visiblement, bien aidé Sophie Verney-Caillat dans la rédaction de son article pour Rue89.

(Tout processus d'identification de l'auteur de ce blog à Lucy Vincent ayant présidé à son énervement, et à la rédaction de ce billet, est totalement fortuit et le plus pur produit du plus pur hasard même pas vrai. Le premier qui pense cela aura bien mauvais esprit.)

mercredi 9 février 2011

Cot Cot Codec

Dans la série "la mort la plus conne du monde", voici l'histoire d'un type qui se fait poignarder par un poulet. Ce poulet portait (pourquoi, on ne sait pas) un couteau sur la patte et, lors d'un combat de coqs, a malencontreusement ouvert la jambe de Jose Luis Ochoa, 35 ans, qui s'est vidé de son sang quelques heures après.

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