dimanche 7 février 2010

En réalité

Une goutte de quoi ? N'importe quelle goutte : d'eau, de miel, de salive, de sperme. C'est ouvert, et tout est possible, explique Hormuz Kéy, il ne s'agit pas de s'en tenir à une seule substance, c'est l'image qui compte, l'image de la fragilité, de l'absurdité - de la beauté, du fluide, du brillant, tout et n'importe quoi absolument contenus dans cette goutte de vie suspendue.












J'ai mis du temps à pouvoir parler de ce film, parce qu'il m'est douloureux - on y voit la déchéance et la mort d'une personne qui m'est chère, Christian de Rabaudy, mon professeur de philosophie de Terminale. Et c'est un peu comme dans les films avec Sophie Marceau, ça marque. De la philosophie, je n'en avais déjà rien à foutre à l'époque, je voyais mes camarades de classe froncer des sourcils dans les couloirs des inter-cours, les jambes étirées, le territoire bien en place - l'air consterné aussi, un peu poussif, avec le ton autoritaire des gens qui te parlent de choses très compliquées. A l'époque, je ne jouais pas le jeu. Dans mes copies aux « évidentes qualités littéraires », notées de son écriture, fine, délicate et un peu précieuse, je parlais de tout sauf de la discipline obligatoire. Je parlais de livres, de films, de musique. C'est d'ailleurs globalement de musique dont il était question dans nos lettres, les deux ou trois années suivantes - j'ai par exemple découvert grâce à lui une grande partie de la musique « française » des XIXème et XXème siècles : Guillaume Lekeu, Vincent d'Indy, César Franck, Darius Milhaud, etc. ; l'école polonaise : Lutosławski, Górecki, Szymanowski ... et je crois lui avoir fait passer mon goût de la musique baroque et contemporaine, et peut-être l'avoir touché en lui offrant un jour Mystère et mémoire des sons, de Dutilleux. C'est aussi grâce à lui que je sais aujourd'hui que Nietzsche s'est exercé à la composition, et que je vois ce que ça donne : un résultat médiocre, disait-il. Il m'avait offert le CD pour me récompenser d'avoir reconnu Debussy sur un billet de 20 francs, même si je pense que c'était là une excuse et que j'aurais eu dans tous les cas ce cadeau, caché dans son sac Gibert jaune qui pendouillait toujours au guidon de son vélo. Par contre, il n'est jamais arrivé à me faire aimer l'opéra, et réussissait mal à faire son poli, en hochant la tête, quand je lui parlais de mon amour inconsolable pour la symphonie Leningrad, de Chostakovitch.













J'ai mis du temps à pouvoir parler de ce film, parce qu'il m'est douloureux - quand j'ai voulu reprendre contact avec Christian de Rabaudy, en 2007, j'ai appris d'une pierre deux coups qu'il avait été le sujet de ce « conte-documentaire », et qu'il était mort. Pas possible donc, le trip « retour de l'élève prodigue », celle qui, avec une autre camarade, avait forcé tous les autres à signer une carte de prompt rétablissement qui l'avait ému aux larmes, sur son lit d'hôpital pour cause de diabète soigné à la va comme je te pousse. Quand il coupa l'année scolaire en deux, nous laissant aux prises avec une professeure, plus femme plus jeune et plus blonde avec « de meilleures méthodes et qui ne puait pas ». Vous vous rendez compte, disaient les mères d'élèves, c'est scandaleux, une matière si importante avec un coefficient si énorme - il fallait faire quelque chose.














J'ai mis du temps à pouvoir parler de ce film, parce qu'il m'est douloureux - parce que son réalisateur, Hormuz Kéy, est une de ces personnes qui me déstabilisent par leur bonté toute nue. Oui, j'ai très mauvais esprit et je suis très loin d'être humaniste, mais Hormuz Kéy fait partie de ces rares personnes dont la naïveté et la croyance en l'espèce sont contagieuses. Un individu qui nourrit sans doute sa « fille intérieure », pour reprendre les termes d'Eve Ensler, de ces individus qui bafoués, battus, entravés, violés, préfèrent toujours la voie du dépassement de la haine et de la vengeance, à celles des serpents qui se mordent la queue et creusent en tournant sur eux-mêmes, un peu plus profondément leur tombe.













Pour ceux qui voudraient voir ce que cela donne, Hormuz Kéy présentera une nouvelle fois son film multi-primé vendredi prochain, 12 février, à 19h, dans la salle du Forum des Images, aux Halles, à Paris. Pour ma part, je serai aux côtés de l'homme que j'aime. Il viendra d'incinérer son père, mort cette nuit.

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