De Kathy Acker je ne connaissais rien, des rumeurs, un nom qui passe par-ci, par-là. Le sentiment d'être un peu forcée à la lire, et de m'y reconnaître forcément, rapport aux porteurs de rumeurs, les écoles de pensée, les pairs, les points communs, tout ça. A la troisième page donc, j'ai pleuré ; de joie et d'énervement, me donnant des gifles mentales et me demandant pourquoi j'avais tant attendu, qu'elle était la raison de l'impasse, quelle peur, pourquoi alors que ce nom revenait dans mon champ visuel et auditif si souvent je ne m'y étais pas encore plongée. Malgré l'idée toujours tenace des memento mori, du gâchis et du temps perdu, pourquoi ce retard, ce piétinement, ce tournage autour, cette poire pour la soif.
Peut-être à cause d'un peu d'esprit de contradiction, et l'appréhension aussi d'une déception, au vu de tous les termes d' « icône », de « monstre », de « chef d'œuvre », etc., les holas, le brouhaha, la clameur – trop belle pour être vraie. Mais en vrai, c'est encore mieux que ça. Don Quichotte donc, qui dans sa version de Cervantès, fait partie des œuvres obligatoires qui m'a le plus emmerdée dans ma vie scolaire (celle des cases, des fiches, du savoir utile), et m'a plus que passionnée en tant que comédie musicale, à peu près d'ailleurs au moment de la première édition du texte de Kathy Acker, en 1986.
Chez Acker, Don Quichotte est une femme et « quand elle fut enfin folle parce qu'elle s'apprêtait à se faire avorter, il lui vint l'idée la plus insensée que jamais femme eût conçue. C'est-à-dire aimer. Comment une femme peut-elle aimer ? En aimant quelqu'un d'autre qu'elle-même. Elle aimerait quelqu'un d'autre. En aimant une autre personne, elle redresserait toute espèce de torts politiques, sociaux, et individuels : elle se mettrait dans des situations si périlleuses qu'elles lui apporteraient renom et gloire. ».
Très vite, dans sa quête de l'impossible amour, avec sa Rossinante devenue un chien qui parle mais « ne comprend pas l'espagnol », Don Quichotte se rend compte « qu'aujourd'hui l'amour est une condition du narcissisme, parce qu'on nous a appris la possession ou le matérialisme plutôt que l'amour non possessif. Ces gens des temps jadis n'avaient pas de langage propre, c'est-à-dire une Haute Culture correcte. Ils étaient simplement confus, et cette confusion les portait à l'amour. Aujourd'hui nos professeurs appellent cette confusion 'poésie' (et s'efforcent de définir chaque poème pour que le langage ne recèle plus d'ambiguïtés), mais à cette époque la 'poésie', c'était la réalité. ». Elle choisit donc rapidement (à la page 39) de mourir, parce qu'elle « cesse de croire en la confiance (...) Fin du bal ».
Et le livre, « monstrueux », « chef d'œuvre », « tour de force » ne fait que commencer, sans aucun, à mon sens, passage à vide : toujours tendu, haletant, passionnant, et terriblement non résumable. Tricotant les références littéraires comme des prétextes (« étant morte, don Quichotte ne pouvait plus parler. Etant née dans un monde d'hommes, faisant partie d'un monde d'hommes, elle n'avait pas de langage propre. Il ne lui restait plus qu'à lire des textes d'hommes qui n'était pas les siens »), Kathy Acker tisse un roman puissant, où « la » femme n'est pas guerrière mais « pirate », « connasse asociale » et résistante, où « tous les bébés devraient mourir à la minute où ils ouvrent la bouche », où l' « on nous a appris, avant toute chose, que l'on devait dissimuler nos corps, surtout cette partie de notre corps. Tenus secrets. Cachés n'importe où, n'importe comment. Pour eux, les émissions des bombes nucléaires c'est moins dangereux que les nôtres. Nos langues elle-mêmes ne devraient pas fuir : par-dessus tout, nous devons être polies ou quelconques ou inexistantes. »
Féministe, oui, Don Quichotte est celle aussi qui dit « fermez vos gueules » aux femmes, celles qui « chialent », qui sont « faibles », qui « ne prennent jamais leurs responsabilités », qui « font une chose et puis, quoi que soit cette chose, la regrettent immédiatement » et n'ont « pas par conséquente de parole propre, de parole réelle ou sensée ». Un « bloc de rêves désirs » dépassant de loin la pauvre et tragique figure du chevalier fou qui l'a inspiré. Et, cerise sur le gâteau, un très bel objet, éditorialement parlant, dans une traduction parfaite. A lire, et vite !
2 commentaires:
Ca a l'air bien. Les livres où les hommes expliquent que les hommes sont des connards, et où les femmes exposent que les femmes sont des connasses, c'est toujours bien. Un parfum de vérité sans ressentiment.
Ainsi, j'entends Martine Aubry dire que la grande idée de demain c'est la "société du soin", le "care", une idée piquée à je ne sais plus quelle féministe anglo-saxonne quoique ménopausée.
Eh bien je me dis que Martine Aubry représente la forme la plus dégradée de la femme et du socialisme.
Mais comme je suis un homme, cela ne compte pas vraiment, il faut à cette féminine dégradation la réponse féminine d'un utérus piétiné, d'un embryon broyé et d'une pisse dans la gueule d'un clochard puant.
Vais-je aimer Kathy Acker autant que Valerie Solanas?
(Pardonnez mes offenses, j'ai peu dormi, je fais mon krane, bravo pour ce blog, etc. etc. et puis : i).
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