Il y a toujours cette facilité dans
les conseils, et même dans le ton de voix de ceux qui n'ont pas
besoin de travailler pour vivre. Pas besoin de gagner leur vie,
s'entend. Mais c'est une facilité de non-dits, de sous-entendus.
Comme
cet homme que j'aime beaucoup (à la folie) et qui raconte qu'au
final, ce n'est pas difficile de quitter la vie,
à comprendre comme le rythme imposé des tâches rémunérées.
Expliquer qu'on peut subvenir à ses besoins si on les diminue, si on
restreint le stock de ses envies marchandes. Bien sûr, évidemment,
quand on a comme lui une énorme propriété de famille, et les
rentes d'héritage qui vont avec.
Comme
cette femme, que j'aime aussi (passionnément) et qui s'amuse de ne
pas me voir voyager plus
souvent. Pourquoi je ne fais pas ça, c'est vrai : il y a tant
de choses à apprendre de New York et de Singapour. Des villes
qu'elle a visitées en tant que femme de, avec la prostitution
conjugale et les indemnités qui vont avec. Au final, c'est peut-être
toujours sur la liberté qu'on rogne pour augmenter sa part de
sécurité.
Et je déteste l'aigreur –
involontaire, incontrôlable – que je sens monter en moi lorsque je
suis en leur compagnie. C'est un terme qui porte d'ailleurs une
métaphore vraiment pertinente : le sentiment acidifie, rogne
sur ce que je peux/pouvais ressentir de telle ou telle personne,
quand ma situation financière était un peu moins tragique. En gros,
quand je dépendais bien plus largement de mes parents. La liberté,
la sécurité, on y revient.
Alors
je travaille, évidement, je turbine. Je prends mission alimentaire
sur mission alimentaire. Et
c'est bien simple : toute mon existence semble désormais
tournée vers le remplissage de mon frigo. Le paiement de mon loyer,
de mon chauffage, de mon électricité, de mon essence, de mes
charges sociales.
Comme tout le monde oui, c'est bien ça le pire.
Parfois,
j'ai peur de lire, par crainte de trop mordre sur le
petit calendrier organisationnel que je me forge depuis le passage de la nouvelle année : tous les soirs, pour
le lendemain, et tous les week-ends pour la semaine qui vient. J'évite aussi de répondre aux mails qui pourraient me lancer sur telle ou telle
entreprise « de long-terme » : comprendre, pas
immédiatement rémunératrices, si elles le sont un jour. Je
me complais dans des loisirs légers pour la tête (qui ne risquent
pas de me susciter une inspiration trop chronophage) :
des visionnages de blockbusters, de séries, des passages sur les
réseaux sociaux. Je me rappelle de mon époque de salariat où, dès
la-sortie-du-bureau, je m'avalais des heures de télévision « parce
que ça détend ». Comme tout le monde, oui, encore.
Mais
je ne pense pas qu'il s'agisse d'une quelconque trop haute estime que
j'aurais de moi-même. C'est beaucoup plus basique que cela : il
y a des activités qui me donnent envie de crever, d'autres pas.
Faire des choses uniquement
parce qu'elles sont rémunératrices, et décompter le temps qu'il me
reste pour celles qui le sont moins, c'est cela qui me rend séduisant
l'appel d'air d'une fenêtre ouverte, au huitième étage.
3 commentaires:
Très bon monsieur Bensimon.
.
Il faut imaginer Sisyphe heureuse, y disait, l'autre, mais, ah, que c'est difficile, nom d'un chien enragé ! Que c'est difficile ...
Il vient à l'esprit des idées de bombes atomiques, ma parole ...
.
Oh c'est bien, ce que tu dis là, c'est si vrai, tout est juste et vrai.
Pareil ici. Maigre consolation...
Tiens bon. :*
Natacha.
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