La maison est un sujet connu, quasiment
élimé de l'art et de la littérature. Avec ses murs où résonnent
les souvenirs ancrés dans la sécurité du tangible, les existences
passées au gré des héritages et des habitudes, elle offre une
résistance en dur à la marche des temps à jamais finis, à leur
effacement souverain et tragique. La maison en deviendrait presque un
concept portant à bout de planches une réminiscence immédiate,
concrète, infaillible, et c'est ainsi qu'une certaine nostalgie,
bien souvent sans le vouloir, peut se déclencher face aux édifices,
aux lieux de vie censés pallier le mortel, la dissolution, et les
rendre un peu plus confortables. Comme pour panser les cicatrices,
mettre du sucre sur les plaies, faire office de petit réservoir à
présent, solidifier la fuite.
Mais les maisons des pays baltes et du
nord de l'Europe photographiées par Natacha Nikouline prennent le
trope et l'essorent jusqu'au trognon. A l'image du reste de son
travail, il n'y est question que de désincarnation, de jeu froid
avec les attendus, de repères qui se dévissent et marchent sur la
tête – ou, plus précisément, qui prennent un chemin se dessinant
à mesure qu'on y pose les pieds, l'un après l'autre. Ce qu'on
croyait connaître se révèle faux, illusoire, truqué, comme autant
d'impossibilités déformées par le biais de subtils effets de
bascule et de décentrement. On pense reconnaître, mais on ne
reconnaît rien, on n'a jamais été là, car là n'a jamais existé.
Il n'y a même pas de tristesse ou de regrets, il n'y aurait, à
peine, qu'un vide, le contraire achevé de l'habitation.
Une étrange sensation d'intimité aux
fondations fantômes. Comme est familière, sans doute, l'absence de
mémoire propre aux déracinés.
Texte d'accompagnement de la série photographique Nocturnes, de Natacha Nikouline
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