mardi 8 juillet 2014

Au nord

La maison est un sujet connu, quasiment élimé de l'art et de la littérature. Avec ses murs où résonnent les souvenirs ancrés dans la sécurité du tangible, les existences passées au gré des héritages et des habitudes, elle offre une résistance en dur à la marche des temps à jamais finis, à leur effacement souverain et tragique. La maison en deviendrait presque un concept portant à bout de planches une réminiscence immédiate, concrète, infaillible, et c'est ainsi qu'une certaine nostalgie, bien souvent sans le vouloir, peut se déclencher face aux édifices, aux lieux de vie censés pallier le mortel, la dissolution, et les rendre un peu plus confortables. Comme pour panser les cicatrices, mettre du sucre sur les plaies, faire office de petit réservoir à présent, solidifier la fuite.

Mais les maisons des pays baltes et du nord de l'Europe photographiées par Natacha Nikouline prennent le trope et l'essorent jusqu'au trognon. A l'image du reste de son travail, il n'y est question que de désincarnation, de jeu froid avec les attendus, de repères qui se dévissent et marchent sur la tête – ou, plus précisément, qui prennent un chemin se dessinant à mesure qu'on y pose les pieds, l'un après l'autre. Ce qu'on croyait connaître se révèle faux, illusoire, truqué, comme autant d'impossibilités déformées par le biais de subtils effets de bascule et de décentrement. On pense reconnaître, mais on ne reconnaît rien, on n'a jamais été là, car là n'a jamais existé. Il n'y a même pas de tristesse ou de regrets, il n'y aurait, à peine, qu'un vide, le contraire achevé de l'habitation.

Une étrange sensation d'intimité aux fondations fantômes. Comme est familière, sans doute, l'absence de mémoire propre aux déracinés. 


Texte d'accompagnement de la série photographique Nocturnes, de Natacha Nikouline

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