Pour une recherche et une médecine sexuellement différenciées : des faits biologiques irréfutables
Sous prétexte de parité, on a trop longtemps évité en France de reconnaître les différences biologiques liées au sexe (DLS), entre les hommes et les femmes, au nom de l’égalité mais au mépris des évidences scientifiques. Or certaines stratégies thérapeutiques ou préventives efficaces pour les individus d’un sexe ne sont pas adaptées à l’autre sexe. Ainsi, depuis des années, les essais cliniques incluent, de façon générale, beaucoup moins de femmes que d’hommes, et les femmes font près de deux fois plus d’accidents secondaires liés aux médicaments que les hommes.
Le coût humain et financier de cette ignorance, voire de cet aveuglement, est exorbitant ; il serait pourtant évitable à condition que les scientifiques et les médecins en prennent conscience pour alerter et agir en réparant enfin cette grave injustice médicale. Il est temps de rattraper plus de 10 ans de retard par rapport à nos voisins européens et de mettre en place une médecine différenciée dans l’intérêt même de la santé des femmes… et des hommes.
Des différences sexuelles sous-estimées
Dès 1905, Nettie Stevens, une chercheuse américaine, avait découvert le rôle du chromosome Y dans la détermination sexuelle. Sur un petit coléoptère du genre Tenebrio, elle avait repéré chez les mâles des cellules reproductrices avec deux chromosomes, soit un X, soit un Y, et chez celles des femelles un seul X ; elle en avait logiquement conclu que le sexe de la progéniture dépendait exclusivement des chromosomes paternels…Une découverte longtemps considérée comme iconoclaste au nom d’une croyance, encore tenace, qui fit répudier tant de femmes, jugées « incapables » de donner naissance à un fils… Mais que plus personne ne conteste aujourd’hui… Où l’on se pose une autre question : avant même que le blastocyste (une centaine de cellules) ne s’implante dans l’utérus de la mère, pourquoi le petit embryon mâle, avec sa croissance accélérée, se distingue-t-il déjà d’un petit embryon femelle ? Pourquoi, alors que les hormones sexuelles n’ont pas encore fait leur apparition ?
Parce que toutes les cellules de l’embryon ont un sexe : XX pour les filles, XY pour les garçons, ce qui veut dire que la différenciation sexuelle apparaît dès la conception, dès la première cellule, indifféremment du genre, bien avant la différenciation des gonades qui conditionne l’apparition des hormones, 7 à 8 semaines plus tard, au cours de fenêtres développementales, génétiques et hormonales, aboutissant à des différences anatomiques dans tout notre corps, au niveau du cœur, des vaisseaux sanguins, du cerveau, mais aussi du système immunitaire ou digestif…
La preuve par la génétique
Notre vision de la différenciation sexuelle est aujourd’hui en pleine mutation à la faveur des avancées scientifiques. Notre génome (23 000 gènes) est réparti sur 46 chromosomes soit 23 paires de chromosomes, dont une paire de chromosomes sexuels (XX pour une fille ou XY pour un garçon). Le chromosome Y est présent uniquement chez l’homme.Or, le sexe biologique a trop longtemps été nié dans notre pays au profit de la primauté du genre, au nom de l’égalité des sexes alors que, rappelons le, si la ressemblance, en termes de séquence d’ADN, entre deux hommes ou deux femmes est de 99,9 %, la ressemblance entre un homme et une femme n’est que de 98,5 %, du même ordre de grandeur qu’entre un humain et un chimpanzé, de même sexe…
Le séquençage du génome humain a pu répertorier une petite centaine de gènes sur le chromosome Y qui s’expriment uniquement dans les cellules d’un mâle. Quant au chromosome X il contient environ 1 500 gènes. On a longtemps cru que l’un des 2 chromosomes X était complètement inactivé au hasard dans toutes les cellules d’une femme, mais en fait environ 15 % échappent à cette inactivation et sont donc plus exprimés dans des cellules XX que dans des cellules XY.
Ainsi les facteurs génétiques qui rendent compte des différences entre mâles et femelles sont précisément d’une part les gènes du chromosome Y qui s’expriment uniquement dans les cellules d’un mâle, et d’autre part les gènes de l’X qui échappent à l’inactivation de l’X et qui sont donc plus exprimés chez une femelle que chez un mâle.
En outre, il existe une grande homologie entre certains de ces gènes de l’X et ceux portés par le chromosome Y. Une trentaine de gènes sont impliqués dans la régulation de l’expression des gènes portés par les autres chromosomes et des protéines et ont un gène homologue sur le chromosome X (les paralogues).
En effet, certains gènes de l’X et de l’Y, codent des enzymes spécifiques de la machinerie épigénétique qui s’expriment dès la mise en route du génome pour venir marquer certains gènes de leur sceau mâle, ou femelle, avec des marques épigénétiques spécifiques. Ces marques mâle- ou femelle-spécifiques permettent l’activation (ou l’inhibition) sélective par les hormones mâles ou les hormones femelles.
Il est bien connu que l’ablation hormonale ne parvient pas toujours à éliminer complètement les différences entre mâles et femelles, ni inversement la supplémentation hormonale à les recréer. Ce qui démontre les rôles organisationnels et activationnels des facteurs génétiques de l’Y et de l’X, au même titre que les hormones. Sachant que le génome est stable et définitif et identique dans chacune de nos cellules, comment expliquer que nos 23 000 gènes ne s’expriment pas de la même façon dans le foie, le rein ou le cerveau et avec notamment des différences selon le sexe ?
Il en découle, sans pouvoir encore toujours l’expliquer que « les maladies aussi ont un sexe ». Ainsi, le retard mental, l’autisme, les tumeurs du cerveau et du pancréas, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques sont plus masculins, comme les conduites à risque, les addictions et la violence. En revanche, la maladie d’Alzheimer, l’anorexie et autres troubles alimentaires, la dépression, l’ostéoporose, les maladies auto-immunes (maladies thyroïdienne – Hashimoto, Basedow – sclérose en plaques, lupus, etc.) et certains cancers (thyroïde) touchent plus les femmes.
Dès la conception, les dés sont jetés…
N’en déplaise à Simone de Beauvoir, on naît femme, on ne le devient pas… Les différences sexuelles n’apparaissent donc pas uniquement avec l’arrivée des hormones sexuelles, après la 8e semaine de gestation, en attendant qu’à partir de la naissance, les influences culturelles façonnent, de concert avec les hormones, notre genre. De nouvelles données scientifiques, largement validées, dont certaines datent tout de même de quelques décennies, bouleversent le schéma égalitariste et étayent un nouvel ordre au niveau cellulaire, attribuant de fait un sexe à toutes nos cellules et ce depuis la conception.Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que les DLS, avec une paire de chromosomes sexuels (XX ou XY), apparaissent dès la conception, dès la première cellule, positionnant ces différences à un stade bien antérieur à la différenciation des gonades qui conditionne l’apparition des hormones. Dès le stade blastocyste (100 cellules) avant le 6e jour, avant même l’implantation de l’embryon dans l’utérus, 30 % des gènes y compris des gènes portés par les autres chromosomes s’expriment déjà différentiellement. Le chromosome Y, le plus petit de tous, a rétréci au cours de l’évolution. Certains de ses gènes sont impliqués, entre autres, dans des affections cardiovasculaires.
Le social influence le biologique et réciproquement
Il est donc primordial de faire la distinction entre le « genre » et « sexe ». Quand on parle de « sexe », on se réfère uniquement aux caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des femmes ; le « genre », lui, désigne les rôles, comportements et attributs différenciés déterminés culturellement par le fait que la société les considère comme appropriés au masculin ou au féminin. Sexe et genre s’influencent l’un l’autre, rendant délicate une séparation claire entre les deux notions dans la pratique et les deux termes sont, hélas, souvent confondus. Certains articles scientifiques évoquent même le « genre » de rongeurs ! Si l’égalité en droit suppose une parfaite similitude de fait, toute différence apparaît alors comme une entorse au cadre égalitaire républicain.Dépasser une vision binaire du sexe
S’il existe des différences statistiquement significatives (parfois modestes et spécifiques) entre hommes et femmes ce n’est pas dire pour autant que chaque homme ou chaque femme correspond à un « type » particulier. En fonction du caractère étudié, les courbes de distribution pour les femmes chevauchent plus ou moins les courbes de distribution pour les hommes. La masculinité et la féminité ne se réduisent pas à un modèle binaire.Par exemple, il est bien établi que les hommes sont en moyenne plus grands que les femmes, mais cela n’est évidemment pas applicable à chaque homme et chaque femme en particulier. La sourde inquiétude que toute différence soit systématiquement en défaveur des femmes n’est pas justifiée non plus : les garçons sont plus touchés par le retard mental et sont plus agressifs que les filles en moyenne, par exemple. De nombreuses DLS, biologiques, comportementales ou psychologiques, sont en effet bien établies.
Des DLS existent donc dans toutes nos cellules et dépassent largement celles uniquement liées à la reproduction, aux gonades et aux hormones – cela se manifeste plus tard par des différences biologiques plus générales (comme la taille ou la forme du visage) et des différences psychologiques, dépendant à la fois de la « culture » et de la « nature ».
Pour rechercher les différences et les mécanismes en jeu aptes à faire progresser les connaissances et la médecine, il faut en finir avec notre vision obsolète du sexe et admettre enfin que ce n’est pas en occultant les différences que l’on supprimera les discriminations, bien au contraire. Mieux vaut essayer de comprendre comment évolue dans la réciprocité le binôme sexe/genre. Ce sera l’objet de l’article qui paraîtra demain.
Peggy Sastre, auteure de « Le sexe des maladies » (Éditions Favre 2014), et de « La domination masculine n’existe pas » (Éditions Anne Carrière 2015), nous a apporté une large contribution pour la réalisation de cet article et nous l’en remercions chaleureusement.
Claudine Junien, Professeur des Universités Université Versailles Saint Quentin, chercheuse épigénétique à l'INRA, Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines – Université Paris-Saclay and Nicolas Gauvrit, Chercheur au Laboratoire CHart (EPHE/Université Paris-Saint-Denis), Maître de conférences en mathématiques à l'ESPE Lille-Nord-de-France, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis
This article was originally published on The Conversation. Read the original article.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire