OGM – l'illusion du savoir
C'est ce qu'on appelle l'effet Dunning-Kruger (comme Freddy) :
ceux qui en savent le moins sur un sujet sont aussi ceux persuadés
d'en savoir le plus. L'inverse, c'est la malédiction de la
connaissance : les plus calés sur un sujet ont tout le mal du
monde à transmettre leurs connaissances, vu tout ce qu'ils ont à
ramer pour se mettre au niveau des ignorants et parvenir à coloniser
leur cervelle. En matière de fossé séparant savoir scientifique et
illusion populaire, les organismes génétiquement modifiés trustent
le haut du palmarès. Selon un
sondage de 2015 du Pew Research Center, 88% des
scientifiques interrogés considéraient les OGM comme inoffensifs
pour la santé, contre seulement 37% des quidams – une différence
de 51 points distançant l'intérêt des tests sur les animaux
non-humains (42 points) et l'innocuité des aliments cultivés à
l'aide de pesticides (40 points). Une étude publiée mi janvier 2019
par Philip M. Fernbach, Nicholas Light, Sydney E. Scott, Yoel Inbar
et Paul Rozin, chercheurs en psychologie et en sciences économiques,
éclaire ce phénomène : les opposants aux OGM les plus fervents
sont aussi ceux qui en entravent le moins sur la question TOUT en se
croyant super experts. Des résultats obtenus sur des échantillons
statistiquement représentatifs de la population aux États-Unis, en
France et en Allemagne, et qui peuvent aussi s'appliquer aux
thérapies géniques, mais pas au changement climatique. Via cette
étude, on comprend mieux pourquoi la communication scientifique a
tant de mal à éclairer son monde, car la plupart des efforts de
vulgarisation partent du principe qu'une incohérence entre l'état
d'un consensus et celui de l'opinion sur un sujet relève d'un
déficit de connaissances – en d'autres termes, que plus le public
en saura, mieux il sera en phase avec la réalité des recherches.
Fernbach et ses collègues ajoutent un degré de complexité au
bouzin : certes, les plus à côté de la plaque sont les plus
en manque d'informations, mais il sont aussi ceux les moins à même
de les assimiler, vu qu'ils pensent déjà tout savoir. Et aucun
fossé ne pourra être comblé tant que cette gageure ne sera pas
résolue.
Référence : Fernbach, P.M. et
al. (2019), Extreme opponents of genetically modified foods know the
least but think they know the most, Nature Human Behaviour ;
DOI: 10.1038/s41562-018-0520-3
Et la sororité, bordel ?
Tel est un des universaux humains :
si la liberté de coucher avec qui et quand on veut est aussi chérie
que la liberté de pensée, d'expression ou de culte, la sexualité
féminine n'est pas jugée de la même façon que la masculine. Il y
a les putes et les séducteurs, les marie-couche-toi-là et les
aventuriers – les premières sont souillées et les seconds
jalousés. Selon une idée communément admise, le contrôle de la
sexualité féminine serait avant tout un truc de machos. En termes
contemporains, le « slut-shaming » (littéralement,
l'humiliation de la traînée) ou la « culture du viol »
(la prétendue banalisation sociétale des violences sexuelles)
seraient alimentés par des sales mâles prêts à tout pour entraver
l'émancipation des femelles dont ils ont tant à craindre. La
réalité mesurable chante une chanson un tantinet plus complexe. Il
y a, par exemple, le fait que les hommes voient le sexe sans
lendemain d'un bien meilleur œil que les femmes ou que les
adolescentes surveillent davantage l'activité génitale de leurs
copines que ne le font les adolescents vis-à-vis des filles de leur
âge. Plus criant encore est le cas des mutilations génitales :
l'excision est traditionnellement effectuée par des mères et des
grands-mères sur des petites filles isolées des membres masculins
de leur famille. Et dans les pays où l'excision est endémique, les
hommes déclarent préférer épouser des femmes dont le
clitoris n'a pas été coupé, des occidentales ou des femmes
appréciant la gaudriole. Une étude menée par Naomi K. Muggleton,
Sarah R. Tarran et Corey L. Fincher, psychologues à l'université de
Warwick (Royaume-Uni), confirme expérimentalement le phénomène :
l'envie de punition des femmes frivoles est assez bien partagée chez
les hommes et chez les femmes MAIS ce sont ces dernières qui sont
disposées à les sanctionner plus cruellement, quitte à se mettre
elles-mêmes en danger. De même, hommes et femmes n'ont pas, en
tendance, les mêmes motivations pour refroidir les chaudasses :
les hommes le font pour éviter le cocufiage et d'avoir à élever
des enfants dont ils ne sont pas le géniteur, tandis que les femmes
cherchent à maintenir le coût élevé de leurs faveurs sur le
marché sexuel et pourrir la vie de potentielles rivales.
Référence : Muggleton, N.K. et al.
(2018), Who punishes promiscuous women? Both women and women, but
only women inflict costly punishment, Evolution & Human Behavior
; DOI : 10.1016/j.evolhumbehav.2018.12.003
Non, les réseaux sociaux ne font
pas se suicider les jeunes filles
À chaque époque sa flippe du mal-être
adolescent induit. À celle de Goethe, ses Souffrances du jeune
Werther étaient censées pousser les romantiques boutonneux à
se pendre à un chêne. Durant la seconde moitié du XXe siècle, on
allait accuser successivement les crooners, les plateaux de Donjons
et Dragons ou les cheveux gras de Kurt Cobain de mettre des idées
noires dans les têtes blondes. Aujourd'hui, tout fout toujours le
camp et ce sont les réseaux sociaux et le temps passé devant les
écrans qui rogneraient le bien-être psychique des jeunes
générations. Notamment du côté des filles, davantage vulnérables
à la toxicité de la pression sociale. Amy Orben et Andrew K.
Przybylski, chercheurs à Oxford en psychologie expérimentale et en
sciences de l'information, ont passé au crible une bonne partie des
données disponibles sur la question pour y trouver beaucoup de
contradictions et de lacunes méthodologiques. De leur propre analyse
menée sur trois bases de données rassemblant 355.358 adolescents
américains et britanniques, il ressort que la corrélation (qui
n'implique en rien une causalité) entre consommation numérique et
santé mentale des adolescents est effectivement négative, mais
aussi extrêmement limitée – à peine 0.4% de la variance des
symptômes dépressifs chez les jeunes est attribuable au temps passé
sur internet. Selon les scientifiques, dormir suffisamment et prendre
tous les jours un bon petit-déjeuner sont des techniques bien plus
efficaces pour stimuler la joie de vivre qu'une diète d'écrans.
Référence : Orben, A.,
Przybylski, A.K. (2019), The association between adolescent
well-being
and digital technology use, Nature
Human Behavior ; DOI :10.1038/s41562-018-0506-1
Initialement publié dans Causeur n°65 (février 2019)
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