jeudi 4 juillet 2019

Quand l'université devient tribunal


Sur les campus de l'anglosphère, les profs ont la trouille. Dans un mélange de consumérisme étudiant, d'emploi académique précaire et de pleutrerie administrative mal camouflée en bienveillance « pastorale », l'ambiance est radioactive. Les élèves peuvent accuser leurs enseignants d'à peu près n'importe quoi et, dans les procédures disciplinaires kafkaïennes qui en découlent, ces derniers n'ont quasiment aucun moyen de se défendre sans bousiller leur carrière et leur santé. Récemment, j'apprenais qu'un professeur new-yorkais était sous le coup d'une plainte pour violation du Titre IX (la législation fédérale sanctionnant les discriminations sexuelles dans les établissements recevant des subsides publics) à cause de deux « crimes » perpétrés dans ses cours de psychologie : avoir parlé de « sexualité féminine » et indiqué que l'anorexie touchait davantage les femmes blanches que les noires. Soit une expression anodine et une réalité scientifique pouvant d'ailleurs s'étendre à tous les troubles du comportement alimentaire. Dans le monde universitaire américain, l'hubris fragiliste de la « culture de la victimisation » est désormais telle que des enseignants sont admonestés pour avoir voulu transmettre leur savoir, la raison d'être de leur travail.

Le 28 mai, une tribune publiée dans The Atlantic dénonçait les périls que ce climat fait peser sur la science et ceux qui l'ignorent. Luana Maroja, professeure de biologie au Williams College et directrice de son programme de biochimie, y détaille comment des faits scientifiques sont victimes de la même censure qui occulte des opinions politiques ou des expressions artistiques jugées offensantes par des étudiants toujours plus avancés dans leur métamorphose en gardes rouges maoïstes. Après avoir banni la formule « femme enceinte » (remplacée par « humain enceint ») et interdit (ou voulu interdire) des pièces de théâtre jugées « racistes » (mais néanmoins écrites par des Afro-Américains), des élèves en viennent à ne plus vouloir entendre parler de QI, d'héritabilité (le degré de transmission génétique d'un trait, physiologique ou comportemental, entre un parent et sa progéniture) et de sélection de parentèle (une des plus grandes avancées de la théorie darwinienne au XXe siècle, permettant notamment de comprendre la coopération et l'altruisme dans le monde animal). Entre autres justifications de leur « dénialisme biologique », les étudiants prétendent que le QI a été inventé pour ostraciser des minorités, que l'héritabilité est un mythe et que la sélection de parentèle légitime le népotisme de Trump. Trois contre-vérités, mais si Maroja cède aux griefs de ses étudiants – ou se retrouve face à une administration acceptant de leur caresser la susceptibilité dans le sens du poil – comment s'y prendra-t-elle pour les sortir de l'erreur si la simple mention de ces phénomènes devient un sacrilège ?

Il y a deux ans, presque jour pour jour, des étudiants d'Evergreen, une autre université d'arts libéraux américaine, patrouillaient sur leur campus armés de battes de base-ball à la recherche d'un professeur de biologie, Bret Weinstein, coupable à leurs yeux de racisme pour avoir critiqué le bien-fondé d'une journée d'exclusion des Blancs. Dans le Wall Street Journal, son épouse Heather Heying, elle aussi biologiste, allait dénoncer une « attaque contre les valeurs des Lumières : la raison, le questionnement et le dissentiment. Les extrémistes de gauche en ont après la science. Pourquoi ? Parce que la science recherche la vérité et que la vérité n'est pas toujours convenable ». En écho au célèbre poème de Martin Niemöller déporté en 1937, Heying intitulait sa tribune : « D'abord ils sont venus chercher les biologistes ».

L'analogie n'est pas exagérée, car vouloir faire taire un enseignant et se boucher les yeux et les oreilles face à des faits qui nous « outragent » est un carburant à ignorance. Une lacune où germent les despotes et prospèrent les tortionnaires.



1 commentaire:

Philippe a dit…

Pour corroborer l'article, une vidéo impressionnante sur la folie qui peut s'emparer d'une université aux USA. https://www.youtube.com/watch?v=u54cAvqLRpA
(PS : je ne connais pas les positions politiques de celui qui a posté cette vidéo. Il reste que ce qu'il diffuse dans ce lien est réel, et effrayant.)