Sur les campus de l'anglosphère, les
profs ont la trouille. Dans un mélange de
consumérisme étudiant, d'emploi académique précaire et de
pleutrerie administrative mal camouflée en bienveillance
« pastorale », l'ambiance est radioactive. Les
élèves peuvent accuser leurs enseignants d'à peu près n'importe
quoi et, dans les procédures disciplinaires kafkaïennes qui en
découlent, ces derniers n'ont quasiment aucun moyen de se défendre
sans bousiller leur carrière et leur santé. Récemment, j'apprenais
qu'un professeur new-yorkais était sous le coup d'une plainte pour
violation du Titre IX (la législation fédérale sanctionnant les
discriminations sexuelles dans les établissements recevant des
subsides publics) à cause de deux « crimes » perpétrés
dans ses cours de psychologie : avoir parlé de « sexualité
féminine » et indiqué que l'anorexie touchait davantage les
femmes blanches que les noires. Soit une expression anodine et une
réalité scientifique pouvant d'ailleurs s'étendre à tous les
troubles du comportement alimentaire. Dans le monde universitaire
américain, l'hubris fragiliste de la « culture de la
victimisation » est désormais telle que des enseignants sont
admonestés pour avoir voulu transmettre leur savoir, la raison
d'être de leur travail.
Le 28 mai, une tribune publiée dans
The Atlantic dénonçait les périls que ce climat fait peser sur la
science et ceux qui l'ignorent. Luana Maroja, professeure de biologie
au Williams College et directrice de son programme de biochimie, y
détaille comment des faits scientifiques sont victimes de la même
censure qui occulte des opinions politiques ou des expressions
artistiques jugées offensantes par des étudiants toujours plus
avancés dans leur métamorphose en gardes rouges maoïstes. Après
avoir banni la formule « femme enceinte » (remplacée par
« humain enceint ») et interdit (ou voulu interdire) des
pièces de théâtre jugées « racistes » (mais néanmoins
écrites par des Afro-Américains), des élèves en viennent à ne
plus vouloir entendre parler de QI, d'héritabilité (le degré de
transmission génétique d'un trait, physiologique ou comportemental,
entre un parent et sa progéniture) et de sélection de parentèle
(une des plus grandes avancées de la théorie darwinienne au XXe
siècle, permettant notamment de comprendre la coopération et
l'altruisme dans le monde animal). Entre autres justifications de
leur « dénialisme biologique », les étudiants
prétendent que le QI a été inventé pour ostraciser des minorités,
que l'héritabilité est un mythe et que la sélection de parentèle
légitime le népotisme de Trump. Trois contre-vérités, mais si
Maroja cède aux griefs de ses étudiants – ou se retrouve face à
une administration acceptant de leur caresser la susceptibilité dans
le sens du poil – comment s'y prendra-t-elle pour les sortir de
l'erreur si la simple mention de ces phénomènes devient un
sacrilège ?
Il y a deux ans, presque jour pour
jour, des étudiants d'Evergreen, une autre université d'arts
libéraux américaine, patrouillaient sur leur campus armés de
battes de base-ball à la recherche d'un professeur de biologie, Bret
Weinstein, coupable à leurs yeux de racisme pour avoir critiqué le
bien-fondé d'une journée d'exclusion des Blancs. Dans le Wall
Street Journal, son épouse Heather Heying, elle aussi biologiste,
allait dénoncer une « attaque contre les valeurs des
Lumières : la raison, le questionnement et le dissentiment. Les
extrémistes de gauche en ont après la science. Pourquoi ?
Parce que la science recherche la vérité et que la vérité n'est
pas toujours convenable ». En écho au célèbre poème de
Martin Niemöller déporté en 1937, Heying intitulait sa tribune :
« D'abord ils sont venus chercher les biologistes ».
L'analogie n'est pas exagérée, car
vouloir faire taire un enseignant et se boucher les yeux et les
oreilles face à des faits qui nous « outragent » est un
carburant à ignorance. Une lacune où germent les despotes et
prospèrent les tortionnaires.
Texte original de l'éditorial paru dans Le Point
1 commentaire:
Pour corroborer l'article, une vidéo impressionnante sur la folie qui peut s'emparer d'une université aux USA. https://www.youtube.com/watch?v=u54cAvqLRpA
(PS : je ne connais pas les positions politiques de celui qui a posté cette vidéo. Il reste que ce qu'il diffuse dans ce lien est réel, et effrayant.)
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