dimanche 8 décembre 2019

Chronique "Peggy la Science" in Causeur n°69 (juin 2019)



A priori, passer une bonne moitié de sa vie sans pouvoir se reproduire ne sert à rien (du moins sur un plan biologique). Tel est pourtant le lot des femelles chez certains animaux, comme dans notre espèce et chez quelques grands mammifères marins comme les orques. Serions-nous des anomalies de la nature ? Que nenni. L'astuce, dictée par la dure loi de la sélection de parentèle, c'est que la fin de la période fertile ne signifie pas forcément l'arrêt complet du destin génétique. En effet, les diverses attentions portées à une progéniture arrivée, elle, à maturité sexuelle, peuvent se traduire par une amélioration de son succès reproducteur individuel tout en s'épargnant les risques inhérents à une reproduction en état de senescence avancée – en partant du principe que vous partagez 50% de votre patrimoine génétique avec vos enfants, mieux vaut qu'ils procréent comme des lapins car vous empocherez 25% supplémentaires à chaque tête de pipe. Cet « effet grand-mère » est avancé pour expliquer l'apparition de la ménopause chez l'humaine qui, à partir d'un certain âge, a davantage à gagner à subvenir à la reproduction de ses enfants et petits-enfants qu'en se fadant elle-même tout le boulot de la gestation et de l'élevage. Jusqu'à présent, le phénomène avait surtout été observé sur des filiations féminines : parce que la reproduction mâle est bien plus incertaine, mieux vaut placer ses billes sur le ventre de ses filles. Mais il semblerait que chez les bonobos, célèbres à la fois pour leurs matriarcats et leur conséquent interventionnisme sexuel, les mères gagnent le gros lot génétique en aidant leurs fils à féconder à tour de bras et ce contrairement aux chimpanzés – leurs très proches cousins plus belliqueux et patriarcaux. Plusieurs stratégies sont mises en œuvre par les mamans bonobos : attirer fiston dans des endroits où pullulent les femelles en chaleur, faire fuir d'éventuels concurrents lorsqu'il a une ouverture et user de son statut social pour lui dégoter les meilleurs partis. Les scientifiques formulent d'ailleurs une hypothèse propre à faire défaillir une féministe orthodoxe : si les bonobos femelles forment de si puissantes coalitions, ce n'est pas parce qu'elles sont de fières amazones ayant déconstruit avant tout le monde la « masculinité toxique », mais parce que cela sert les intérêts reproductifs de leurs fils (et les leurs, par la même occasion). Les chiffres parlent d'eux-mêmes : lorsqu'ils ont maman dans les parages, les bonobos mâles ont jusqu'à trois fois plus de chances que les esseulés de devenir d'heureux papas.


À écouter bien des culturalistes, on en viendrait à croire que les échanges économico-sexuels ne sont que les fruits d'un système de production capitaliste lentement constitué dans notre très oppressive et inégalitaire espèce depuis l'apparition de l'agriculture. Sauf que des chercheurs de l'université de Tel Aviv viennent de tomber sur un gros os pour cette théorie : chez les très mignonnes roussettes d’Égypte, des chauve-souris frugivores, les femelles (ces traînées !) échangent de la nourriture contre du sexe et les mâles pourvoyeurs (ces porcs!) ont ainsi plus de chances de se reproduire que les autres. Heureusement, l'étude ne fait pas que fragiliser l'assise factuelle du féminisme matérialiste, elle permet aussi d'éclaircir le mystère évolutionnaire que peut être le partage alimentaire lorsque que les avantages qu'en retirent les fournisseurs ne sont pas toujours évidents (en dehors des liens de parenté mentionnés précédemment). Les scientifiques parlent parfois de « vol toléré » lorsque que la riposte au pillage de ressources n'est pas rentable pour le floué. À l'inverse, servir ses congénères peut se révéler très avantageux pour le statut social (comme lors du potlatch où ce sont les excès de dépense qui sont les mieux vus) et le succès reproducteur qui lui est généralement attaché. Dans les espèces où les rapports sociaux sont plus ou moins durables, comme les chimpanzés ou les humains, subvenir aux besoins alimentaires de femelles est une stratégie gagnant-gagnant : chez les chasseurs-cueilleurs, il existe une corrélation positive directe entre la générosité d'un individu (en termes de quantité d'aliments offerts au groupe) et le nombre d'enfants qu'il aura. Cet échange « sexe contre nourriture » est donc désormais attesté chez les mammifères volants : les mâles qui se laissent chiper de la nourriture sur leur museau par des femelles voient leurs dons récompensés en tests de paternité positifs.


L’Australie et le Royaume-Uni ont un sacré handicap dans la vie : leurs législations ne leur permettent pas de rémunérer les dons de sperme ni de garantir l'anonymat aux hommes offrant leur précieuse semence à la communauté. Cette valeur n'est pas qu'une figure de style : dans le monde, les banques de sperme constituent une industrie dépassant aujourd'hui les 3 milliards d'euros. Avec l'essor des fécondations in vitro, que ce soit pour des raisons médicales ou sociétales marquant une plus grande tolérance pour les familles monoparentales ou les couples homosexuels, le secteur est promis à une belle croissance. Alors comment faire pour éviter la pénurie de gamètes et inciter aux dons bénévoles ? Selon l'équipe de Laetitia Mimoun, de la Cass Business School de l'université de Londres, jouer sur les archétypes de la masculinité est une excellente stratégie. En l'espèce, son étude montre que les banques de sperme britanniques et australiennes axant leur marketing sur les figures du héros ou chevalier servant sont les plus à même de renflouer leurs stocks. Dans tous les cas, le don de sperme est présenté comme un moyen d'affirmer sa virilité, que ce soit en acceptant un sacrifice (figure du héros, du soldat, etc.) soit en sauvant une vie (comme le font les pompiers ou les secouristes).

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