samedi 7 décembre 2019

La qualification du crime


Soigner une maladie exige d'en comprendre les causes. Les violences conjugales sont une pathologie affectant le plus petit organe du corps social, le couple.

Au stade où nous en sommes de l'histoire en forme d'auto-domestication de notre espèce, le couple est une communauté d'égaux où il n'est plus tolérable que l'un impose sa loi à l'autre. Les violences conjugales sont très durement sanctionnées par le droit, charpente civilisatrice s'il en est. Depuis un quart de siècle, en France, tuer son conjoint est un crime plus grave que de tuer son voisin. C'est logique, et c'est heureux.

Mais l'ouverture du « Grenelle des violences conjugales » a été l'occasion d'un étrange glissement sémantique traduisant un mauvais diagnostic posé sur la maladie qu'il entend traiter. Selon des figures féministes commentant ce dispositif, le Grenelle ne porterait pas sur les « violences conjugales », mais les « violences faites aux femmes ». De même, le terme de meurtre ou d'homicide conjugal a été largement remplacé par celui de « féminicide », qui met l'accent sur le sexe et le genre des victimes comme s'il s'agissait de la raison de leur mort tragique. Ce n'est pas le cas. Si les victimes des violences conjugales sont majoritairement des femmes, ces violences touchent aussi des hommes et surviennent dans des couples de même sexe, selon une fréquence au moins équivalente (et selon certaines études, supérieure) aux couples hétérosexuels. Les femmes tuées par un homme dans notre pays et de par le monde ne le sont pas parce qu'elles sont des femmes. Elles sont mortes parce qu'elles étaient épouse, compagne, convoitée sans envie réciproque de « faire couple », etc. Ce n'est donc pas leur identité ou leur nature qui a fait d'elles des victimes, mais leur statut.

En termes biologiques, les violences conjugales sont une forme extrême de « rétention de partenaire », soit toutes les tactiques permettant de préserver son succès reproducteur en ne perdant pas son compagnon d'accouplement. Ici, darwiniens et féministes radicales pourraient être sur la même longueur d'ondes : il en va d'un continuum entre la main que l'on serre quand on se promène dans rue et celle que l'on envoie dans la gueule. Ces stratégies ne sont pas équivalentes, mais elles visent un même objectif : contrôler et orienter la sexualité d'autrui à son profit en prévenant, punissant et palliant l'infidélité. Comme pour bien des phénomènes construits sur des fondations biologiques, ils surviennent et perdurent parce qu'ils émergent d'un « calcul » avantageux pour (les gènes de) leurs agents. Dans sa forme masculine, la rétention de partenaire répond à l'incertitude de paternité inhérente à la reproduction des mammifères placentaires. Les hommes ayant le plus à perdre en cas de tromperie, ils ont aussi le plus à gagner à l'éviter par tous les moyens, y compris létaux. Voici quelques traces* des racines évolutionnaires des violences conjugales : elles sont quasi exclusivement motivées par la jalousie, la courbe des risques suit celle de la fertilité féminine, les femmes y sont d'autant plus vulnérables qu'elles ne sont pas mariées avec leur agresseur, ont « recomposé » avec lui une famille avec leurs enfants « d'un premier lit » ou forment (en étant les plus jeunes) un couple à forte différence d'âge. Il ne s'agit en aucun cas de justifications, d'excuses ou d'une incitation à regarder ailleurs, seulement d'une étiologie que l'on ne peut ignorer pour avoir quelque espoir de prévenir et traiter le mal.

*d'autres sont consignées dans mon livre La domination masculine n'existe pas (Éditions Anne Carrière)


Version originale de l'éditorial parue dans Le Point le 12 septembre 2019

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