Soigner une maladie exige d'en
comprendre les causes. Les violences conjugales sont une pathologie
affectant le plus petit organe du corps social, le couple.
Au stade où nous en sommes de
l'histoire en forme d'auto-domestication de notre espèce, le couple
est une communauté d'égaux où il n'est plus tolérable que l'un
impose sa loi à l'autre. Les violences conjugales sont très
durement sanctionnées par le droit, charpente civilisatrice s'il en
est. Depuis un quart de siècle, en France, tuer son conjoint est un
crime plus grave que de tuer son voisin. C'est logique, et c'est
heureux.
Mais l'ouverture du « Grenelle
des violences conjugales » a été l'occasion d'un étrange
glissement sémantique traduisant un mauvais diagnostic posé sur la
maladie qu'il entend traiter. Selon des figures féministes
commentant ce dispositif, le Grenelle ne porterait pas sur les
« violences conjugales », mais les « violences
faites aux femmes ». De même, le terme de meurtre ou
d'homicide conjugal a été largement remplacé par celui de
« féminicide », qui met l'accent sur le sexe et le genre
des victimes comme s'il s'agissait de la raison de leur mort
tragique. Ce n'est pas le cas. Si les victimes des violences
conjugales sont majoritairement des femmes, ces violences touchent
aussi des hommes et surviennent dans des couples de même sexe, selon
une fréquence au moins équivalente (et selon certaines études,
supérieure) aux couples hétérosexuels. Les femmes tuées par un
homme dans notre pays et de par le monde ne le sont pas parce
qu'elles sont des femmes. Elles sont mortes parce qu'elles étaient
épouse, compagne, convoitée sans envie réciproque de « faire
couple », etc. Ce n'est donc pas leur identité ou leur nature
qui a fait d'elles des victimes, mais leur statut.
En termes biologiques, les violences
conjugales sont une forme extrême de « rétention de
partenaire », soit toutes les tactiques permettant de préserver
son succès reproducteur en ne perdant pas son compagnon
d'accouplement. Ici, darwiniens et féministes radicales pourraient
être sur la même longueur d'ondes : il en va d'un continuum entre
la main que l'on serre quand on se promène dans rue et celle que
l'on envoie dans la gueule. Ces stratégies ne sont pas équivalentes,
mais elles visent un même objectif : contrôler et orienter la
sexualité d'autrui à son profit en prévenant, punissant et
palliant l'infidélité. Comme pour bien des
phénomènes construits sur des fondations biologiques, ils
surviennent et perdurent parce qu'ils émergent d'un « calcul »
avantageux pour (les gènes de) leurs agents. Dans sa forme
masculine, la rétention de partenaire répond à l'incertitude de
paternité inhérente à la reproduction des
mammifères placentaires. Les hommes ayant le plus à perdre en cas
de tromperie, ils ont aussi le plus à gagner à l'éviter par tous
les moyens, y compris létaux. Voici quelques traces* des racines
évolutionnaires des violences conjugales : elles sont quasi
exclusivement motivées par la jalousie, la courbe des risques suit
celle de la fertilité féminine, les femmes y sont d'autant plus
vulnérables qu'elles ne sont pas mariées avec leur agresseur, ont
« recomposé » avec lui une famille avec leurs enfants
« d'un premier lit » ou forment (en étant les plus
jeunes) un couple à forte différence d'âge. Il ne s'agit en aucun
cas de justifications, d'excuses ou d'une incitation à regarder
ailleurs, seulement d'une étiologie que l'on ne peut ignorer pour
avoir quelque espoir de prévenir et traiter le mal.
*d'autres sont
consignées dans mon livre La domination
masculine n'existe pas (Éditions Anne
Carrière)
Version originale de l'éditorial parue dans Le Point le 12 septembre 2019
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