Pour être tout à fait honnête (car charité bien ordonnée commence par soi-même), Maïa Mazaurette ne dit pas cela. Précisément sa formule est : « "des" hommes qu'on peut reconnaître à la tête, et derrière eux, une culture incompatible avec ma liberté. » OKAY, et Maïa Mazaurette de conclure que « La burqa elle est déjà là. Des hommes contrôlent mon corps. Qu'ils le fassent en me suivant dans la rue (hier), en m'agressant (avant-hier) ou en me gonflant avec leur hééé charmante hééé parle-moi sale pute (tout le temps), c'est pareil. La burqa est dans mon cerveau ».
Bien sûr, tout le monde (qui a toujours raison) me conseille de ne pas faire attention à ce post et, selon les avis, me dit que ce genre d'article cherche le « buzz » (et est visiblement bien parti pour l'avoir, puisque le nombre des commentaires sous ce post a tellement gonflé qu'ils ont été pour l'instant fermés, et pour beaucoup modérés), qu'il n'est pas très intelligent, que la vie est trop courte pour se faire chier avec des cons, qu'il n'est qu'un épiphénomène au milieu de la soupe débitologique de l'internet (qui est le Mal), qu'il ne mérite que le mépris et, pour faire court, qu'on n'en parle pas.
Oui, mais voilà, misère, je décide d'en parler, tant il m'apparaît comme un symptôme de quelque chose que je n'arrive pas encore à précisément nommer mais que je lie (illusoirement, certainement) à la « sortie » de Zemmour sur la couleur de peau des délinquants, à celle de Longuet sur le « corps français traditionnel », aux saillies « pas très catholiques » dont l'écho a été fait ici ou là, ou encore, il y a plus longtemps, à cette entrevue que j'avais eu avec le maire de Chantilly devenu aujourd'hui multi-ministre à qui je reprochais, dans toute la ferveur de ma jeunesse, d'avoir soutenu une alliance électorale avec le FN et qui m'avait répondu (en substance) : « mais que voulez-vous que je leur dise, mademoiselle, à tous ces électeurs qui viennent me voir en me demandant de faire quelque chose parce que leur voiture a été volée par un immigré ? ».
En gros donc, à ce qu'on voit souvent comme les travers d'une « droite décomplexée », que je nommerais pour ma part « débilitation du débat public » et que, pour le coup, je ne lie à rien de vraiment précis si ce n'est à la nature humaine qui préfère toujours la connerie à un examen détaillé de données un tant soit peu tangibles. La débilitation n'ayant ici rien d'un processus ou d'un « c'était mieux avant » (Cf. Édouard Drumont, 1886) mais, pour dire comme papi Zemmour, d'un fait (lol).
Comme je ne cherche pas habituellement à éteindre des feux avec de l'essence, et même si lire cet article de Maïa Mazaurette m'a été très pénible, je ne vais pas répondre au registre émotionnel qui transpire dans ce billet par un autre, qui, au choix, le dirait raciste, réac, facho (car au fond, le meilleur adjectif qui me vient à l'esprit est « stupide ») - vu que je ne cherche pas tant à y répondre qu'à le mettre en perspective.
Le mettre en perspective, principalement, avec ce sentiment d'insécurité dont on nous bassine quotidiennement les oreilles, avec la déferlante de « petites phrases » répondant à d'autres, avec le décorticage politico-médiatique de telle ou telle « intime conviction », et tous ces chocs/indignations/scandales auxquels il faut décidément que je me fasse, vu que c'est visiblement sur ces plus petits dénominateurs communs que se fonde aujourd'hui (comme hier ?) toute possibilité de « débat ».
Alors, et pour revenir à nos moutons, si j'avais un conseil à donner à mon tour à Maïa Mazaurette, ce serait de faire un peu moins confiance à son « ressenti » et de prendre un petit carnet pour noter (certes, si elle a encore les mains libres entre deux tournantes - tiens, parenthèse dans la parenthèse, les tournantes, que sont-elles devenues ?) toutes les fois où, pendant une journée de la jupe, et ce toutes villes confondues, elle se fait aborder, et de chiffrer, au milieu de ce grand total, toutes les fois où elle se sent « agressée » et celles où elle se sent « flattée », et de voir dans quelles cases se retrouve le plus gros pourcentage de personnes culturellement différentes.
Mais ce serait peut-être faire ici preuve d'un procès d'intention. Alors je lui dirais peut-être, plus simplement, que le contrôle du corps des femmes n'est pas né d'hier, ni des Trente Glorieuse, ni de l'africanisation de « notre » immigration, d'essayer de décoller sa « burqa mentale » de son nombril, et de la comparer, tiens, au hasard, à la forme du vagin de la cane et à celle du pénis du canard.
Ce à quoi elle me répondrait probablement : « nous ne sommes pas des animaux ».
1Bibliographie sélective et rapide : Chapman, L. J., & Chapman, J. P. (1967). Genesis of popular but erroneous diagnostic observations. Journal of Abnormal Psychology, 72, 193-204 ; Dietterich, T. (1989). Limitations on inductive learning. Proceedings of the Sixth International Workshop on Machine Learning (pp. 124-128). Ithaca, NY: Morgan Kaufmann ; Kelley, H. (1971). Causal schemata and the attribution process. In E. Jones, D. Kanouse, H. Kelley, N. Nisbett, S. Valins & B. Weiner (Eds.), Attribution: Perceiving the causes of behavior. Morristown, NJ: General Learning Press ; Kelley, H. (1983). The process of causal attribution. America Psychologist, 107-128 ; Lien, Y., & Cheng, P. (1989). A framework for psychological induction: Integrating the power law and covariation views. The Eleventh Annual Conference of the Cognitive Science Society. (pp. 729-733). Ann Arbor, MI: Lawrence Erlbaum Associates, Inc. ; Medin, D., & Wisniewski, E. (1990). Paper presented at the Symposium on Computational Approaches to Concept Formation, Stanford, CA ; Murphy, G., & Medin, D. (1985). The role of theories in conceptual coherence. Psychology Review, 92,Memory & Cognition. 13, 377-384 ; Pazzani, M. & Schulenburg, D. (1989). The influence of prior theories on the ease on concept acquisition. The Eleventh Annual Conference of the Cognitive Science Society. (pp. 812-819).Ann Arbor, MI: Lawrence Erlbaum Associates, Inc. ; Pazzani, M. (1990). Creating a memory of causal relationships: An integration of empirical and explanation-based learning methods. Hillsdale, NJ : Lawrence Erlbaum Associates ; Schank, R., Collins, G., & Hunter, L. (1986). Transcending inductive category formation in learning. Behavioral and Brain Sciences, 9, 639-686 ; Valiant, L. (1984). A theory of the learnable. Communications of the Association of Computing Machinery, 27, 1134-1142 ; Wattenmaker, W., Dewey, G., Murphy, T., & Medin, D. (1986). Linear severability and concept learning: Context, Relational properties and concept naturalness. Cognitive Psychology, 18, 158-194 ; Wells, H. (1963). Effects of transfer and problem structure in disjunctive concept formation. Journal of Experimental Psychology, 65, 63-69 ; Wisniewski, E. (1989). Learning from examples: The effect of different conceptual roles. The Eleventh Annual Conference of the Cognitive Science Society. (pp. 980-986).Ann Arbor, MI: Lawrence Erlbaum Associates, Inc. 289-316 ; Nakamura, G. (1985). Knowledge-based classification of ill-defined categories.
5 commentaires:
Je pense que vous avez eu la bonne réaction et les bons mots d'explication. Vivant dans une zone rurale (sans aucune "peaux bronzées") qui vote front national de manière très décomplexée, il faut aussi tenir compte de l'influence de la télévision.
Concernant les paradoxes du "ressenti", vous auriez pu citer aussi Paul Watzlawick de Palo Alto.
En tous cas, merci pour ce moment d'intelligence qui fait du bien…
Je te dirais surtout que je n'aime pas qu'on me donne des conseils quand je n'en demande pas, en fait. Que tu me prennes pour une cruche, ça ne me dérange pas, mais que tu m'expliques comment je devrais voir le monde, ouais, forcément, un peu.
Maïa : ce que tu appelles te donner des conseils quand tu n'en demandes pas, j'appelle ça "réagir", ou "débattre" - chose qui existe à peu près depuis que l'humain peut exprimer sa pensée en mots. Processus qui a été, il est vrai, accéléré avec Internet.
Dans ce sens, Sskizo ne te "demandait" pas non plus de prendre son post pour que tu le mettes à "ta" sauce, c'est-à-dire en l'enrobant non pas simplement de ton vécu ("quand je sors en jupe je me fais plus emmerder") mais d'une analyse, là aussi qui t'es personnelle, selon laquelle seulement certains hommes "reconnaissables à la tête" t'emmerdaient dans ces cas-là, et que cela relevait d'un conflit culturel - entre ta culture ("je mets des jupes pour le plaisir") et la leur (une fille en jupe = fille qui a envie de se faire baiser, par moi). Et cette analyse je la trouve fausse, si ce n'est faussée, biaisée, et c'est en ce sens que je me "permets" d'en débattre.
Bien sûr, si tu avais laissé tes commentaires ouverts et non-filtrés au moment où j'ai eu le temps et l'envie de réagir, ce débat aurait peut-être pris une autre forme. Mais on ne peut refaire malheureusement que très rarement l'histoire.
J'aime bien votre petit texte, la bibliographie... z'êtes allée à l'école vous autres.
Mais que pensez vous du comportement de ce jeune Mandingue ? La jeune fille éprouve-t-elle un ressenti paradoxal ?
http://www.youtube.com/watch?v=ogpo_71iR6U
La scène est à Bobigny.
Merci Anonyme, pour ce grand moment d'intelligence, sincèrement, ça manquait sur ce blog, surtout dans les commentaires.
La violence en général, envers les femmes en particulier, serait-elle donc le monopole de "ceux qu'on reconnaît à la tête" et qui se mettent en scène sur youtube ?
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