vendredi 10 mai 2019

Chronique "Peggy la science" in Causeur n°66 (mars 2019)


L'écriture inclusive ne marchera pas (non plus) chez leschimpanzés

Dans le langage, comme partout, il existe des lois universelles. Parmi celles-ci, la loi de Zipf et la loi de Menzerath. La première, dite aussi principe d'abréviation ou d'efficience, statue que l'amplitude d'un signal est inversement proportionnelle à sa fréquence – voilà pourquoi les mots les plus usités sont en général les plus courts. Selon la seconde, la taille d'une structure linguistique est inversement proportionnelle à celle des éléments qui la constituent. Exemple : plus un mot est long, plus ses syllabes sont brèves. Ce qu'il y a de cocasse avec ces formules, c'est qu'elles sont loin de se limiter au langage articulé. La loi de Zipf se retrouve ainsi chez les cris de macaques, de ouistitis, de chauve-souris ou encore dans les mouvements des dauphins lorsqu'ils remontent à la surface pour faire le plein d'oxygène. Plus fort encore, la loi de Menzerath a été dénichée en biologie moléculaire. Exemples : plus une espèce compte de chromosomes dans son caryotype, plus ils sont petits ; dans le génome humain, le nombre d'exons (des « briques » d'ADN codant) est inversement proportionnel à la taille des gènes qui les composent. Autant dire que le langage n'est visiblement pas une pure « construction sociale » arbitraire, mais semble bien relever de lois naturelles organisant déjà les tous premiers échelons de la vie. Plus près de notre arbre, une équipe interdisciplinaire et internationale de scientifiques vient de discerner leur présence dans la communication non-verbale des chimpanzés – les positions des mains, du corps, les expressions du visage et autres cris dont les animaux se servent pour se transmettre une palanquée de messages. Conformément aux lois de Zipf et de Menzerath, chez ces primates, les gestes les plus courants sont aussi les plus brefs, et plus une séquence est longue et complexe, plus elle est constituée de gestes courts. Des résultats obtenus grâce à l'analyse de près de 2.000 occurrences de 58 gestuelles filmées chez les chimpanzés de la réserve forestière de Budongo (Ouganda). Il semblerait bien que, malgré leurs énormes différences, un langage de chimpanzé et celui d'un humain reposent sur des principes mathématiques identiques. Des principes constituant le lien évolutionnaire entre gestuelle animale et langage articulé et dévoilant le goût de la nature pour la compression, la parcimonie et l'économie de moyens. Soit la direction à peu près radicalement opposée à celle de l'écriture inclusive. Bienheureuses et bienheureux mesdames et messieurs les chimpanzé.e.s, il leur reste encore un peu de temps avant de tous et toutes devoir s'y faire.


Parmi les manifestations les plus courantes d'un amour naissant, il y a cette impression diffuse de péter le feu, de pouvoir résister à tout, de déborder d'énergie pulsée par un cœur battant. Pardon pour les romantiques, mais l'origine de ce sentiment d'invincibilité semble se nicher non pas dans l'union des âmes, mais au fin fond de nos cellules immunitaires. Selon une étude menée sur 47 étudiantes (moyenne d'âge 20,5 ans) surveillées pendant deux ans avant, pendant et après une relation hétérosexuelle et monogame, l'amour s'accompagne de modifications dans l'expression des gènes associés à l'immunité, indépendamment de l'état de santé ou de l'activité sexuelle des individus concernés. De fait, ces changements peuvent s'avérer très utiles lorsqu'on rentre en contact avec une flore bactérienne jusqu'ici étrangère, comme pour plusieurs processus immunitaires bénéfiques à la reproduction. En particulier, les modifications observées sont impliquées dans l'atténuation des réactions immunitaires inflammatoires, un mécanisme qui permet d'éviter que le fœtus, porteur pour moitié de l'ADN du géniteur, ne soit considéré comme un corps étranger, histoire de garantir une grossesse menée jusqu'à son terme. Le signe des histoires d'amour qui se terminent bien selon le carnet de bal de l'évolution.


Depuis les années 1970 (grosso modo), l'idée que la reproduction sexuée en passerait par un mâle conquérant venant planter de force sa graine dans une femelle purement et passivement réceptacle a volé en éclats grâce aux avancées de la biologie moléculaire. Ces dernières décennies, la recherche a ainsi complété et complexifié le tableau de la compétition spermatique – la guéguerre que se livrent 60 à 100 millions de spermatozoïdes avant qu'un seul ne gagne les faveurs de l'ovule – et souligne notamment le rôle primordial que joue la physiologie femelle dans tout ce bordel. Publiée la veille de la Saint Valentin (c'est ce qu'on appelle du timing), une étude analysant de la semence d'homme et de taureau détaille les principaux obstacles que les gamètes mâles doivent surmonter pour rendre une éjaculation féconde. Conduite par Meisam Zaferani, Gianpiero D. Palermo et Alireza Abbaspourrad, chercheurs à l'université Cornell, elle montre en particulier comment les variations de largeur du tube utérin menant à l'ovule forment de véritables goulets d'étranglement qui ne laissent passer que les spermatozoïdes les plus vaillants (en vrai, on dit « motiles »). En outre, la nage caractéristique des spermatozoïdes (par ailleurs super pour leur faire économiser un maximum d'énergie à contre-courant) fait que si, par un coup de bol, les gamètes les plus flagadas arrivent les premiers devant un rétrécissement, ils seront repoussés à l'arrière et verront les plus véloces reprendre la pôle position. Où l'on comprend que l'appareil reproducteur féminin fait tout ce qu'il peut pour garantir la victoire du meilleur spermatozoïde, et ce dans un mépris flagrant pour l'égalité des chances.

Initialement publié dans Causeur n°66 (mars 2019) 

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