Que penses-tu de la réaction de Marlène Schiappa, qui critique la grève du sexe lancée par Alyssa Milano et affirme que cela n'est que « se priver soi même » et « nous punir une deuxième fois » ?
Je suis assez d'accord et c'est très cocasse de voir que le présupposé de la grève du sexe – les femmes sont pourvoyeuses d'un service qu'elles rendent aux hommes en échange d'avantages – est une vision très conservatrice car naturelle du rapport économico-sexuel. En moyenne, la plus grande différence sexuelle entre les hommes et les femmes considérés en tant que groupes relève du goût pour la variation des partenaires – ce n'est pas que les hommes ont plus de libido que les femmes, mais qu'ils ont une plus grande propension à multiplier les partenaires et ce pour des raisons ultimement reproductives. Pour le dire très schématiquement, pour que leur stratégie reproductive soit optimale, les hommes ont tout intérêt à minimiser leur investissement parental dans leur progéniture et donc à multiplier les rapports féconds sans engagement. Les femmes, aussi, sauf qu'en tant que mammifères placentaires, elles ont un investissement parental minimal bien plus conséquent que les hommes : minimiser leur propre investissement signifie donc sécuriser la présence d'un pourvoyeur de ressources en restreignant ce qui est le plus délétère pour ses gènes à lui, à savoir élever des enfants dont il n'est pas le géniteur. D'où l'intérêt que les femmes ont à être (mais surtout, à passer pour) chastes. Et dans le contexte du droit à l'avortement, c'est méconnaître la réalité des clivages existants sur la question et les facteurs qui y contribuent : les plus grands écarts d'opinion ne sont pas observés entre hommes et femmes, mais entre femmes entre elles, avec la religiosité jouant un rôle très important. Ce sont les femmes conservatrices qui ont tout intérêt à restreindre le droit à l'avortement pour conserver un coût élevé au sexe et s'assurer l'investissement masculin. C'est ce qu'une bonne partie des féministes orthodoxes ne comprennent pas : l'avortement est sans doute l'un des sujets où la guerre des sexes est le moins à l’œuvre ! C'est avant tout une question de compétition intrasexuelle féminine, comme quasiment toutes les questions sociétales liées à la gestion de la reproduction : de l'avortement au mariage homosexuel en passant par la prostitution ou même le port du voile islamique, les franges les plus conservatrices des populations sont composées de femmes que la « promiscuité » de leurs homologues menace. Il est donc dans leur intérêt de l'endiguer.
Pour toi, une grève du sexe, c’est renoncer au plaisir ou se mettre en position de pouvoir ?
Ce n'est pas mutuellement exclusif et cela dépend aussi des raisons de sa mise en œuvre. Les grèves du sexe les plus efficaces ont des motivations pacifistes : pour faire stopper une guerre ou généralement de la violence coalitionnelle (gangs, etc.), on prive les hommes de sexe (mais souvent aussi de tâches ménagères...). Dans ce sens là, la chose est logique : les hommes allant à la guerre (notamment) pour se mesurer entre eux et augmenter leur pool de partenaires (et donc leur succès reproducteur, à savoir la quantité de gènes qu'ils transmettront à la génération suivante), si on leur coupe cette motivation, le rapport coût/bénéfice de la guerre penche davantage vers le premier plateau. Ici, les femmes peuvent effectivement renoncer temporairement au plaisir, mais elles se mettent aussi dans une position de pouvoir.
Ce mode d'action est il encore approprié aujourd'hui ?
Version intégrale de l'interview publiée dans Grazia le 4 juin 2019
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