Un jour je partagerai ma vie entre ces capitales de misère où les enfants sont bon marché, puisque j’ai découvert que la pouillerie, comme l’extrême richesse, rend les mœurs plus affables. Le prostitué est un privilégié entre les pauvres : il a sa beauté, qu’il vend et revend pour mourir moins vite.
On me reprochera un tel opportunisme. Mais cela ne suffira pas à m’empêcher d’acheter avec le petit salaire que j’aurai, des orgies fabuleuses – au risque d’être ouvertement humilié, égorgé ou tondu. Je penserai que cette franchise a du bon et, résigné aux représailles, sucerai les ventres de ceux qui sucent des os et qui perdraient jusqu’au plaisir de détester, sans les pédérastes auxquels ils vendent les ruisseaux de leurs reins – ainsi que leur frimousse, où je reconnaîtrai ma propre détresse, car les faims se ressemblent, même s’il en est de plus méprisées que d’autres.
Puisse quelque maladie contractée auprès d’eux nous rendre tout à fait semblables ! Ainsi je resterai là-bas, vivrai à leurs côté, et les corps deviendront fraternels et non plus mercenaires. Je me vendrai à mon tour. Ou plutôt, mon instinct d’occidental et de chrétien me donnera le talent d’être proxénète, ce qui me procurera les prestiges d’une éducation bien comprise et des facilités amoureuses.
Je pourrai créer à mon usage un harem d’enfants, d’adolescents et de jeunes hommes, j’y vieillirai, empâté et rougeaud, et j’aurai embrassé tant de lèvres, foré tant de culs, reçu tant de foutre, que je deviendrai un énorme bouddha de suif dont il faudra soulever le ventre pour dénicher, dessous, la queue fripée. Enfin, n’ayant vu aucun enfant que je n’aie pollué, aucun mâle dont je n’aie guidé le membre dans mes profonds replis, je mourrai – et de tout ce sperme pourrissant jailliront sur ma tombe de grands lys où les morpions viendront nicher.
Ainsi aurai-je accompli ici-bas notre fin essentielle, ayant méprisé, exploité, humilié comme on m’en avait donné l’exemple, et soumis cet enfer dont j’étais part misérable.
Tony Duvert, Récidive