vendredi 28 mai 2010

Appel pour la défense du droit à l’anonymat sur Internet

Nous tenons à affirmer notre attachement à la liberté d’expression sur Internet, qui a permis à tout un chacun de participer au formidable développement de l’information et des débats sur le réseau.


Une proposition de loi , déposée par le Sénateur Masson , prévoit de remettre en cause le droit à l’anonymat des blogueurs.

Il s'agirait de leur imposer la publication de leur nom, de leur adresse mail, et semble-t-il aussi de leur adresse et de leur numéro de téléphone.


Nous considérons qu’une telle loi porterait atteinte à la liberté d’expression sur Internet.

Les blogueurs qui choisissent l’anonymat le font pour des raisons liées à leur vie professionnelle ou personnelle. Sans cet anonymat beaucoup arrêteraient de bloguer.


Nous appelons les députés et sénateurs à refuser cette proposition de loi, qui contrairement à ce que prétendent ses auteurs, n’apporterait rien en ce qui concerne la protection contre la diffamation, déjà efficacement assurée par la loi actuelle. Rappelons que la loi LCEN fait obligation aux hébergeurs de blogs de supprimer immédiatement les publications litigieuses sur simple demande, et de communiquer le cas échéant à la justice les coordonnées de l’auteur.



Il n’est donc nul besoin d’une loi supplémentaire qui aurait pour seul effet de brider la liberté d’expression des internautes.



Pierre Chappaz, Pdg Wikio

Jean-Baptiste Clot, Pdg Canalblog

Olivier Creiche, PDG d'EZ Embassy (distributeur du service TypePad)

Jean-François Julliard, secrétaire-général de Reporters sans frontières

Frédéric Montagnon, Pdg Over-blog

Tristan Nitot, Président, Mozilla Europe

Philippe Pinault, Pdg Blogspirit

Jeremie Zimmermann et Philippe Aigrain, La Quadrature du Net



A soutenir ici

vendredi 21 mai 2010

I am the media : ou quand l'Internet fait plouf

Se voulant un tour d'horizon du « narcissisme numérique », le nouveau documentaire de Benjamin Rassat ne fait qu'égrainer les clichés les plus éculés sur un Internet « vu à la télé ».

En même temps, ça commençait mal. Le mail d'invitation de l'avant-première (même si le film était apparemment déjà passé à la télévision) mentionnait une « invraisemblable bataille » avec Arte et un débat « incisif » entre blogueurs, avant la projection. C'est donc impatiente de découvrir un nouvel adversaire de la censure télévisuelle et d'assister à une foire d’empoigne entre individus se comparant leur nombre de followers comme d'autres essayent de pisser toujours un peu plus loin (« Elle est froide ce matin ! » « Ouais, et profonde.») que je me suis rendue, au cinéma l'Archipel, ce 17 mai, un peu avant 19h30.

Comme on pouvait l'imaginer, l'incisif débat n'avait aucun intérêt, sauf celui d'entendre un clone (ce genre d'individus produits en série, que vous êtes à peu près sûr d'avoir déjà vu, sans être complètement certain de l'avoir réellement rencontré) raconter qu'à « 23 ans » il s'était mis « assez tard à Internet ». (Ma profonde infiltration du milieu blogosphérique – mon cul – m'a permis plus d'une semaine plus tard d'identifier le sus-dit clone en la personne d'un dénommé Cyril Paglino, aussi célèbre, m'a-t-on dit, pour sa participation à une émission de télé-réalité que pour un coït présumé avec une blogueuse « beauté » se démaquillant avec « deux » cotons).

Ensuite, le réalisateur, Benjamin Rassat, dont j'avais pourtant bien apprécié le précédent documentaire, « Quand l'Internet fait des bulles » prit la parole (même s'il ne l'avait pas non plus vraiment lâchée pendant le débat) pour se placer d’emblée sous le double patronage de Claude Lanzmann (parce que, dans Shoah, comme chez Rassat, il y a de la « mise en scène », voyez), et de Stanley Kubrick (même si, compte tenu de la citation du cinéaste, tellement apprise par cœur qu'elle paraissait récitée par le robot de la SNCF, je n'ai pas vraiment compris quel était le rapport avec la choucroute). Ah oui, bon, d'accord.

Place au film, éteignage de lumières, attention.

Le point positif de « I am the media » est qu'il est court et assez peu ennuyeux (néanmoins, à un moment, j'ai remarqué qu'il faisait très chaud). Les points négatifs ? Tout le reste. Alors que, visiblement, ce documentaire se présentait comme un tour d'horizon du « narcissisme numérique », il donne la désagréable impression d'être une collection de clichés sur un Internet « vu à la télé », conçue par une personne qui n'y connaît pas grand chose.

A la différence de « Quand l'Internet fait des bulles » dans lequel le réalisateur s'effaçait parfaitement pour donner la parole à des « experts », le personnage central de « I am the media » est...Benjamin Rassat (vous allez me dire, que c'est là le « concept au niveau du présupposé filmique d'un document sur le narcissisme »...oui, mais non), devenu, pour le bien de l'art (car Rassat, sur sa page Wikipédia, est « artiste ») vraie-fausse « figure » de l'Internet en perdition (et bronzée) sur un bateau mouillant près d'une quelconque plage exotique. Face caméra, le faux Rassat conseille au vrai quelques pistes pour son documentaire – et en pose là le « fil rouge ». On se poile, on rigole, glou-glou.

Premier problème : toutes ces « pistes » sont définies par leur géographie (Brésil/Japon/Allemagne/États-Unis etc.), et on ne voit pas trop l'intérêt, à part peut-être celui de justifier le remboursement par Arte des billets d'avion et autres émoluments touristiques de l'équipe du film (oh une remarque de mauvaise esprit).

Deuxième problème : l'approximation. Alors certes, cela fait aussi partie du « concept » du « documentaire où rien n'est vrai » de ne pas trop s'attacher aux faits, mais il aurait peut-être été judicieux de ne pas, non plus, prendre (trop) son spectateur pour un con. Ne pas présenter par exemple la vlogueuse Magibon comme japonaise, alors qu'elle est pennsylvanienne pur sucre (deux minutes de recherche Google apprennent par exemple qu'elle vient d'une « famille très traditionnelle » qui ne « comprend rien aux cultures étrangères ») - son « intérêt » venant justement du fait qu'en ne baragouinant que deux mots appris dans les mangas, Magibon a réussi à attirer toute une foule de spectateurs japonais (mais certes, une telle info ne colle pas trop avec le parti-pris « géographique » du film). Ou encore, ne pas trop appuyer la distinction « site » (bien, élitiste) et « blog » (popu, caca) en parlant d'Andrew Keen quand son url se termine par .typepad...

Mais tout cela serait encore anecdotique, et finalement tolérable, si « I am the media » ne ressemblait pas à un énorme foutage de gueule, se concentrant uniquement sur l'Internet « buzzique » et aussi « influenceur » que les quatre péquins présents avant la projection (ou que mes couilles, pour parler vulgaire). Chez Rassat, l'Internet n'est affaire que de pages vues, de vidéos, de statistiques Youtube (mais faussées, hi hi), de « personnalités » ne faisant la « une » que des magazines et autres médias de l'ancien monde (Andrew Keen-le-gros-réac-méchant-anti-Wikipédia, ou encore Loïc le Meur se demandant pourquoi, après s'être filmé en train de faire son jogging, « tout le monde le prend pour un abruti » et qui doit être à l'Internet ce que les « taz » sont à Facebook...) - et la seule personne qui y écrit (Meenakshi Madhavan), y parle de cul.

Quand les lumières se sont rallumées, j'avais pitié de Thierry Ehrmann, pour ses 40 secondes d'apparition (« qu'allait-il faire dans cette galère ?») et trouvais encore trop long le caméo sur-furtif (ayant tout de même demandé une demi-journée de tournage) d'Alexander Bard et Jan Söderqvist (pour lequel j'ai été remerciée au générique ??). Mais à quelque chose, malheur est bon, mon déplacement de couenne, ce soir-là, en IRL, aura profité à l' « art » de Benjamin Rassat : devant mon ordinateur, j'aurais quitté la salle depuis longtemps.

vendredi 14 mai 2010

Le casque d'or de Mambrino

C'est un livre que j'ai lu lentement. Un peu moins d'un mois entre les premières larmes, à la troisième page, et la fin, celle qu'on temporise, qu'on recule au maximum, en se demandant ce qu'on va faire ensuite. Parce que tout paraîtra si fade, si attendu, si connu.

De Kathy Acker je ne connaissais rien, des rumeurs, un nom qui passe par-ci, par-là. Le sentiment d'être un peu forcée à la lire, et de m'y reconnaître forcément, rapport aux porteurs de rumeurs, les écoles de pensée, les pairs, les points communs, tout ça. A la troisième page donc, j'ai pleuré ; de joie et d'énervement, me donnant des gifles mentales et me demandant pourquoi j'avais tant attendu, qu'elle était la raison de l'impasse, quelle peur, pourquoi alors que ce nom revenait dans mon champ visuel et auditif si souvent je ne m'y étais pas encore plongée. Malgré l'idée toujours tenace des memento mori, du gâchis et du temps perdu, pourquoi ce retard, ce piétinement, ce tournage autour, cette poire pour la soif.

Peut-être à cause d'un peu d'esprit de contradiction, et l'appréhension aussi d'une déception, au vu de tous les termes d' « icône », de « monstre », de « chef d'œuvre », etc., les holas, le brouhaha, la clameur – trop belle pour être vraie. Mais en vrai, c'est encore mieux que ça. Don Quichotte donc, qui dans sa version de Cervantès, fait partie des œuvres obligatoires qui m'a le plus emmerdée dans ma vie scolaire (celle des cases, des fiches, du savoir utile), et m'a plus que passionnée en tant que comédie musicale, à peu près d'ailleurs au moment de la première édition du texte de Kathy Acker, en 1986.

Chez Acker, Don Quichotte est une femme et « quand elle fut enfin folle parce qu'elle s'apprêtait à se faire avorter, il lui vint l'idée la plus insensée que jamais femme eût conçue. C'est-à-dire aimer. Comment une femme peut-elle aimer ? En aimant quelqu'un d'autre qu'elle-même. Elle aimerait quelqu'un d'autre. En aimant une autre personne, elle redresserait toute espèce de torts politiques, sociaux, et individuels : elle se mettrait dans des situations si périlleuses qu'elles lui apporteraient renom et gloire. ».

Très vite, dans sa quête de l'impossible amour, avec sa Rossinante devenue un chien qui parle mais « ne comprend pas l'espagnol », Don Quichotte se rend compte « qu'aujourd'hui l'amour est une condition du narcissisme, parce qu'on nous a appris la possession ou le matérialisme plutôt que l'amour non possessif. Ces gens des temps jadis n'avaient pas de langage propre, c'est-à-dire une Haute Culture correcte. Ils étaient simplement confus, et cette confusion les portait à l'amour. Aujourd'hui nos professeurs appellent cette confusion 'poésie' (et s'efforcent de définir chaque poème pour que le langage ne recèle plus d'ambiguïtés), mais à cette époque la 'poésie', c'était la réalité. ». Elle choisit donc rapidement (à la page 39) de mourir, parce qu'elle « cesse de croire en la confiance (...) Fin du bal ».

Et le livre, « monstrueux », « chef d'œuvre », « tour de force » ne fait que commencer, sans aucun, à mon sens, passage à vide : toujours tendu, haletant, passionnant, et terriblement non résumable. Tricotant les références littéraires comme des prétextes (« étant morte, don Quichotte ne pouvait plus parler. Etant née dans un monde d'hommes, faisant partie d'un monde d'hommes, elle n'avait pas de langage propre. Il ne lui restait plus qu'à lire des textes d'hommes qui n'était pas les siens »), Kathy Acker tisse un roman puissant, où « la » femme n'est pas guerrière mais « pirate », « connasse asociale » et résistante, où « tous les bébés devraient mourir à la minute où ils ouvrent la bouche », où l' « on nous a appris, avant toute chose, que l'on devait dissimuler nos corps, surtout cette partie de notre corps. Tenus secrets. Cachés n'importe où, n'importe comment. Pour eux, les émissions des bombes nucléaires c'est moins dangereux que les nôtres. Nos langues elle-mêmes ne devraient pas fuir : par-dessus tout, nous devons être polies ou quelconques ou inexistantes. »

Féministe, oui, Don Quichotte est celle aussi qui dit « fermez vos gueules » aux femmes, celles qui « chialent », qui sont « faibles », qui « ne prennent jamais leurs responsabilités », qui « font une chose et puis, quoi que soit cette chose, la regrettent immédiatement » et n'ont « pas par conséquente de parole propre, de parole réelle ou sensée ». Un « bloc de rêves désirs » dépassant de loin la pauvre et tragique figure du chevalier fou qui l'a inspiré. Et, cerise sur le gâteau, un très bel objet, éditorialement parlant, dans une traduction parfaite. A lire, et vite !



vendredi 7 mai 2010

Les liens du jour

Prout : Il faut de tout pour faire un monde, en particulier sexuel. Aujourd'hui, l'homme qui fantasme sur les femmes constipées.

Ø sex : L'Australie est depuis quelques semaines le premier pays au monde à reconnaître l'existence d'un individu au sexe non spécifié sur ses papiers d'identités.

Fact : Il paraîtrait que l'Hadopi serait sur le point d'envoyer ses premiers « mails » d'avertissements aux « pirates ». Pourquoi, si l'argument « le piratage tue le commerce culturel » est faux ?

J’ai peut être une haine profonde pour le genre humain dans sa masse la plus crasse, mais je reste un utopique éternel en ce qui concerne l’avenir de la pensée : J'ai découvert Soymalau lors de « l'affaire » qui l'avait opposé à Romain Libeau. Avec ce genre de post, je suis heureuse de l'avoir mis dans mes RSS.

mercredi 5 mai 2010

Citation

Au-dessus du pont de Pine Street, il y avait un gros nuage. A l'interlocuteur qu'il avait dans sa tête, Cummings déclara qu'il allait peut-être pleuvoir et que cette belle journée ensoleillée deviendrait encore plus belle et plus ensoleillée si on tenait compte de la possibilité de sa disparition. La possibilité de sa disparition éphémère. La disparition éphémère du jour au rythme du passage fugace du temps. Le temps qui fait le fier. Le temps primordial qui fait le fier. Cette fripouille. Le temps fait de nous des propres-à-rien, et puis non, le temps avec ses joues creuses et son reflet spectral, son regard accusateur et ses doigts décharnés. Ces doigts décharnés tendus en signe d'avertissement, comme pour dire : "Je t'exhorte, humain, à te rappeler l'imminence de ta propre mort. Elle est déjà en route et ne va pas tarder. Elle vient, spire fatale, et ne crois pas que son horrible linceul évite ton front ridé, pronto, une fois que j'aurais choisi ton numéro fatidique dans mon livre couvert de poussières de ce même doigt décharné qui te désigne maintenant, toi, vanité des vanités, toi qui cherches à briller, toi le tire-au-flanc, tandis que tu avances d'un pas traînant vers les lieux de plaisir de ce monde."

Pas mal, cette tirade. Si seulement il pouvait se la rappeler jusqu'au bout de sa balade, malgré l'orage qui montait, pour la griffonner d'une main fougueuse sur son bloc-notes jaune. Il pensait et repensait avec une ardente convoitise à son bloc-notes vierge. Il pensait avec une ardente convoitise à son bloc-notes jaune sur lequel, ce même jour, allait s'inscrire sa renommée, non, sur lequel ce même jour il inscrirait, ou plutôt il écrirait les premiers et maigres gribouillages qui présageraient d'une gloire naissante et bourgeonnante, et un jour, quelqu'un déterrerait son bloc-notes jaune et c'est tout juste s'il ne s'écrierait pas "eurêka !" en se rendant compte de l'extraordinaire fourmillement de détails, jusqu'aux plus petits, qu'il venait de découvrir. Toutes sortes de femmes de lettres en petites vestes noires voudraient alors le rencontrer.

Désormais, il lui faudrait se souvenir d'apporter partout son bloc-notes.

George Saunders, Pastoralia