mardi 28 février 2017

Pour une recherche et une médecine sexuellement différenciées : sur les traces de l’épigénétique




Claudine Junien, Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines – Université Paris-Saclay and Nicolas Gauvrit, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis

Nous avons vu dans notre premier article que, dès la conception, avec une paire différente de chromosomes sexuels – XY pour le garçon et XX pour la fille – 30 % des gènes des hommes et des femmes s’expriment différemment dans tous leurs tissus. Ceci se traduit par de subtiles différences de base, de susceptibilité aux maladies mais aussi en réponse à divers environnements. The Conversation
Notre génome est stable, définitif et identique dans chacune de nos cellules. Pourtant, il ne s’exprime pas de la même façon dans le foie, le rein ou le cerveau… Sans compter des différences selon le contexte physiopathologique, le sexe ou l’âge.
On sait aujourd’hui que cette incroyable plasticité de nos gènes dépend de marques épigénétiques qui peuvent, de plus, être spécifiques du sexe. Elles sont apposées sur certains gènes comme une sorte de mémoire pour se souvenir de son sexe, dès le début de la vie, pour moduler au bon moment, dans la bonne cellule, avec les bonnes hormones, l’expression de certains gènes. Ces différences liées au sexe (DLS) existent dans tous les tissus, incluant les gonades et le cerveau, et donc dans chacune des 60 000 milliards de cellules qui les composent. La santé adaptée à tous ne doit donc plus être unisexe, basée sur l’homme, mais différenciée et sexuée.


Génétique, environnement et épigénétique

L’épigénétique désigne l’étude des influences de l’environnement cellulaire ou physiologique sur l’expression de nos gènes. Pour que nos gènes puissent « s’exprimer » (fonctionner), il faut que l’ADN et des protéines, les histones, autour desquelles l’ADN est enroulé, comportent des marques spécifiques (que l’on appelle épigénétiques) d’activation ou de répression. Alors que la génétique renvoie à la forme écrite des gènes, l’épigénétique renvoie, elle, à leur lecture : un même gène pourra être lu différemment selon le tissu ou certaines circonstances.
Or, il existe des marques épigénétiques spécifiques du sexe apposées sur certains gènes comme une sorte de mémoire sexuée, dès le début de la vie et tout au long de la vie. Ces marques modulent l’expression des gènes en fonction du sexe. Outre ces marques, d’autres facteurs comme des facteurs de transcription, spécifiques du sexe, et les hormones mâles ou femelles elles aussi spécifiques du sexe permettent d’activer ou d’inhiber un gène.
Sous l’influence de l’environnement physico-chimique ou socio-affectif, des modifications des marques se produisent et peuvent perdurer durant la vie de l’individu, voire être transmises à sa descendance. Et c’est seulement à partir de la naissance que les influences liées au genre et autres contraintes sociales pourront marquer nos gènes et laisser des empreintes conférant certaines dispositions à l’individu en fonction de son genre.


Reconnaître nos différences : une question d’échelle

Il est impossible, en termes absolus, de prouver qu’il n’y a aucune différence entre les sexes. De la même façon qu’une carte géographique donnera une précision différente selon le degré de grossissement, on peut rechercher des différences d’un point de vue grossier au niveau comportemental ou anatomique, ou bien, beaucoup plus fin, au niveau cellulaire et moléculaire, génétique et épigénétique.
C’est une des raisons pour lesquelles on constate une grande disparité dans les conclusions des études qui, en fait, dépendent du niveau d’investigation (grossissement), du nombre d’échantillons, des outils utilisés et en particulier statistiques pour mesurer les différences. De nombreuses DLS, biologiques, comportementales ou psychologiques, sont en effet bien établies. Au niveau moléculaire, les études de l’expression de milliers de gènes exprimés dans différents tissus ont permis de démontrer qu’en moyenne on observe une différence homme/femme ou mâle/femelle statistiquement significative du niveau d’expression, pour, environ 30 % des gènes.
Il peut exister des variantes dans les voies empruntées par une cellule mâle ou une cellule femelle dans une situation particulière, tout en parvenant, ou non, au même résultat. Mais les gènes montrant les différences d’expression n’appartiennent pas nécessairement aux mêmes voies métaboliques ou de signalisation. Par exemple, la femelle empruntera la face nord pour parvenir au sommet d’une montagne, alors que le mâle empruntera la face sud. On arrive au même résultat, le sommet de la montagne, mais l’effort, le stress, les équipements nécessaires, le temps de parcours, les risques encourus, ou les paysages seront différents.
De plus, dans toutes nos cellules, ces DLS fluctuent : elles persistent, disparaissent, voire changent de direction. Enfin parallèlement, l’environnement intrautérin, puis celui de l’enfant et de l’adulte viendront contribuer au formatage de notre épigénome pour conférer à l’individu son identité.


Intégrer le sexe et le genre dans la recherche en santé

Il faut reconfigurer le statu quo des connaissances. Les modèles animaux sont susceptibles d’apporter des réponses parfois inaccessibles aux études épidémiologiques, cliniques ou anatomiques chez l’Homme. Ainsi les femelles sont souvent plus sensibles à la douleur, comme la femme. Mais, des données récentes montrent en outre que, dans des conditions expérimentales, l’exposition olfactive à des expérimentateurs hommes entraîne une inhibition de la douleur alors que ce n’est pas le cas avec des expérimentatrices chez les animaux comme chez l’Homme.
Une autre étude a montré que, en cas de lésions nerveuses, les voies de la douleur chez les souris sont différentes chez le mâle et chez la femelle : comme pour l’ascension de la montagne déjà mentionnée, le mâle utilise la microglie de la moelle épinière, alors que les femelles utilisent des cellules T du système immunitaire. On comprend mieux dès lors qu’en se réduisant à l’étude exclusive des mâles, on risque de passer à côté du mécanisme pertinent chez la femelle.
De plus, du fait de ces mécanismes différents, la recherche de cibles pharmacologiques peut s’avérer différente en fonction du sexe car ce qui pourrait être protecteur pour l’un risquerait d’être délétère pour l’autre, d’où la nécessité d’une recherche thérapeutique différenciée. Mais, l’inclusion des femelles dans les études sur l’animal impose des surcoûts ; surtout, elle pourrait être entravée par la variabilité due au cycle de reproduction chez les femelles… même s’il a été démontré que la variabilité sur la plupart des traits étudiés était équivalente chez les femelles et les mâles !


Recherche américaine en santé. National Cancer Institute/Wikimedia

Quant au surcoût, il serait bien de mettre dans la balance celui payé par les femmes victimes d’accidents secondaires qui aboutissent souvent au retrait du marché des médicaments incriminés. Environ 80 % des études chez l’animal n’incluent que des mâles et, de 1997 à 2000, sur 10 molécules retirées du marché, 8 l’ont été en raison d’effets secondaires chez des femmes. C’est pourquoi, aux États-Unis, le NIH (Institut National de la Santé) n’allouera plus désormais de financement aux études qui n’inclueront pas les deux sexes, qu’elles portent sur notre espèce ou sur d’autres animaux.
Plusieurs pays européens ont déjà adopté des politiques similaires, prenant ainsi au moins dix ans d’avance par rapport à la France où, sous prétexte d’anti-sexisme, on évite de reconnaître les différences liées au sexe, au mépris des évidences scientifiques et de l’intérêt de la santé des femmes… et des hommes.


Une recherche et une médecine sexuellement personnalisées

Si les femmes sont les principales victimes de ce déni, les hommes peuvent aussi en pâtir, lorsqu’ils souffrent de maladies que l’on pense, à tort, réservées aux femmes – la dépression et l’ostéoporose pour ne citer que les plus emblématiques.
Mais, on peut surtout se demander pourquoi cette nouvelle preuve scientifique a du mal à passer concernant le cerveau… Avant même la différenciation des gonades, les ébauches embryonnaires du cerveau vont former un socle, nécessairement sexué, sur lequel va s’élaborer notre cerveau au gré des influences environnementales et selon son patrimoine génétique avec soit des chromosomes XX soit des chromosomes XY. La construction cérébrale est donc, tout au long de la vie, sous une double influence génétique et environnementale.
Comment, dès lors, imaginer que les cellules souches sexuées destinées à former les ébauches embryonnaires du cerveau pourraient « perdre leur sexe » en deçà du cou, épargnant le cerveau de ces différences fille/garçon que l’on n’ose regarder en face ? Une revue critique et une prise de conscience des contraintes sociales liées au genre et de leur incorporation biologique devraient permettre de « mettre à plat » notre sexe biologique.
La crainte que toute différence de fait entre hommes et femmes pourrait justifier une discrimination sexiste est une erreur : ce qui est naturel n’est pas nécessairement bon, et ce qui est biologique n’est pas inexorable. C’est aux citoyens de décider des comportements et des modes d’organisation de la société souhaitables, y compris si cela doit aller à l’encontre de nos prédispositions biologiques. Il faudra alors veiller à ne pas céder à la tentation de hiérarchiser les mécanismes complexes impliqués, source potentielle de discriminations, toutes scientifiquement et médicalement injustifiées.


Le retard français

La France a accumulé un retard considérable par rapport à d’autres pays européens (Allemagne, Hollande, Suède, Italie), au Canada, aux États-Unis ou encore à Israël, qui ont des sociétés savantes dédiées et des instituts de médecine de genre pratiquant la double approche basée sur le sexe et le genre, depuis une bonne dizaine d’années.
Il a fallu attendre juin 2016 pour que l’Académie nationale de médecine organise une conférence de presse sur le sujet. L’alerte a été entendue par les médias, mais combien de patientes osent-elles demander à leur médecin un diagnostic sexué ? Combien de médecins s’intéressent-ils à une question dont ils n’ont jamais entendu parler sur les bancs de la Faculté et qui n’est pas sans leur paraître accessoire, voire entachée d’un féminisme sans rapport avec la science ?
Les différences biologiques doivent être prises en compte dès le stade de la recherche fondamentale et clinique et il faut d’urgence que l’enseignement de la médecine inclut une prise en compte transversale des DLS autres que celles liées à la reproduction.

Peggy Sastre auteure de « Le sexe des maladies » (éditions Favre, 2014), et de « La domination masculine n’existe pas » (éditions Anne Carrière, 2015), nous a apporté une large contribution pour la réalisation de cet article et nous l’en remercions chaleureusement. Les auteurs remercient également Nicole Priollaud, chargée de la communication à l’Académie Nationale de médecine pour son engagement et ses précieux conseils pour la rédaction de nos deux articles.

Claudine Junien, Professeur des Universités Université Versailles Saint Quentin, chercheuse épigénétique à l'INRA, Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines – Université Paris-Saclay and Nicolas Gauvrit, Chercheur au Laboratoire CHart (EPHE/Université Paris-Saint-Denis), Maître de conférences en mathématiques à l'ESPE Lille-Nord-de-France, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis

This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

lundi 27 février 2017

Pour une recherche et une médecine sexuellement différenciées : des faits biologiques irréfutables


Claudine Junien, Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines – Université Paris-Saclay and Nicolas Gauvrit, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis

Sous prétexte de parité, on a trop longtemps évité en France de reconnaître les différences biologiques liées au sexe (DLS), entre les hommes et les femmes, au nom de l’égalité mais au mépris des évidences scientifiques. Or certaines stratégies thérapeutiques ou préventives efficaces pour les individus d’un sexe ne sont pas adaptées à l’autre sexe. Ainsi, depuis des années, les essais cliniques incluent, de façon générale, beaucoup moins de femmes que d’hommes, et les femmes font près de deux fois plus d’accidents secondaires liés aux médicaments que les hommes. The Conversation
Le coût humain et financier de cette ignorance, voire de cet aveuglement, est exorbitant ; il serait pourtant évitable à condition que les scientifiques et les médecins en prennent conscience pour alerter et agir en réparant enfin cette grave injustice médicale. Il est temps de rattraper plus de 10 ans de retard par rapport à nos voisins européens et de mettre en place une médecine différenciée dans l’intérêt même de la santé des femmes… et des hommes.


Des différences sexuelles sous-estimées

Dès 1905, Nettie Stevens, une chercheuse américaine, avait découvert le rôle du chromosome Y dans la détermination sexuelle. Sur un petit coléoptère du genre Tenebrio, elle avait repéré chez les mâles des cellules reproductrices avec deux chromosomes, soit un X, soit un Y, et chez celles des femelles un seul X ; elle en avait logiquement conclu que le sexe de la progéniture dépendait exclusivement des chromosomes paternels…
Une découverte longtemps considérée comme iconoclaste au nom d’une croyance, encore tenace, qui fit répudier tant de femmes, jugées « incapables » de donner naissance à un fils… Mais que plus personne ne conteste aujourd’hui… Où l’on se pose une autre question : avant même que le blastocyste (une centaine de cellules) ne s’implante dans l’utérus de la mère, pourquoi le petit embryon mâle, avec sa croissance accélérée, se distingue-t-il déjà d’un petit embryon femelle ? Pourquoi, alors que les hormones sexuelles n’ont pas encore fait leur apparition ?
Parce que toutes les cellules de l’embryon ont un sexe : XX pour les filles, XY pour les garçons, ce qui veut dire que la différenciation sexuelle apparaît dès la conception, dès la première cellule, indifféremment du genre, bien avant la différenciation des gonades qui conditionne l’apparition des hormones, 7 à 8 semaines plus tard, au cours de fenêtres développementales, génétiques et hormonales, aboutissant à des différences anatomiques dans tout notre corps, au niveau du cœur, des vaisseaux sanguins, du cerveau, mais aussi du système immunitaire ou digestif…


La preuve par la génétique

Notre vision de la différenciation sexuelle est aujourd’hui en pleine mutation à la faveur des avancées scientifiques. Notre génome (23 000 gènes) est réparti sur 46 chromosomes soit 23 paires de chromosomes, dont une paire de chromosomes sexuels (XX pour une fille ou XY pour un garçon). Le chromosome Y est présent uniquement chez l’homme.
Or, le sexe biologique a trop longtemps été nié dans notre pays au profit de la primauté du genre, au nom de l’égalité des sexes alors que, rappelons le, si la ressemblance, en termes de séquence d’ADN, entre deux hommes ou deux femmes est de 99,9 %, la ressemblance entre un homme et une femme n’est que de 98,5 %, du même ordre de grandeur qu’entre un humain et un chimpanzé, de même sexe…
Le séquençage du génome humain a pu répertorier une petite centaine de gènes sur le chromosome Y qui s’expriment uniquement dans les cellules d’un mâle. Quant au chromosome X il contient environ 1 500 gènes. On a longtemps cru que l’un des 2 chromosomes X était complètement inactivé au hasard dans toutes les cellules d’une femme, mais en fait environ 15 % échappent à cette inactivation et sont donc plus exprimés dans des cellules XX que dans des cellules XY.
Ainsi les facteurs génétiques qui rendent compte des différences entre mâles et femelles sont précisément d’une part les gènes du chromosome Y qui s’expriment uniquement dans les cellules d’un mâle, et d’autre part les gènes de l’X qui échappent à l’inactivation de l’X et qui sont donc plus exprimés chez une femelle que chez un mâle.
En outre, il existe une grande homologie entre certains de ces gènes de l’X et ceux portés par le chromosome Y. Une trentaine de gènes sont impliqués dans la régulation de l’expression des gènes portés par les autres chromosomes et des protéines et ont un gène homologue sur le chromosome X (les paralogues).
En effet, certains gènes de l’X et de l’Y, codent des enzymes spécifiques de la machinerie épigénétique qui s’expriment dès la mise en route du génome pour venir marquer certains gènes de leur sceau mâle, ou femelle, avec des marques épigénétiques spécifiques. Ces marques mâle- ou femelle-spécifiques permettent l’activation (ou l’inhibition) sélective par les hormones mâles ou les hormones femelles.
Il est bien connu que l’ablation hormonale ne parvient pas toujours à éliminer complètement les différences entre mâles et femelles, ni inversement la supplémentation hormonale à les recréer. Ce qui démontre les rôles organisationnels et activationnels des facteurs génétiques de l’Y et de l’X, au même titre que les hormones. Sachant que le génome est stable et définitif et identique dans chacune de nos cellules, comment expliquer que nos 23 000 gènes ne s’expriment pas de la même façon dans le foie, le rein ou le cerveau et avec notamment des différences selon le sexe ?
Il en découle, sans pouvoir encore toujours l’expliquer que « les maladies aussi ont un sexe ». Ainsi, le retard mental, l’autisme, les tumeurs du cerveau et du pancréas, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques sont plus masculins, comme les conduites à risque, les addictions et la violence. En revanche, la maladie d’Alzheimer, l’anorexie et autres troubles alimentaires, la dépression, l’ostéoporose, les maladies auto-immunes (maladies thyroïdienne – Hashimoto, Basedow – sclérose en plaques, lupus, etc.) et certains cancers (thyroïde) touchent plus les femmes.


Dès la conception, les dés sont jetés…

N’en déplaise à Simone de Beauvoir, on naît femme, on ne le devient pas… Les différences sexuelles n’apparaissent donc pas uniquement avec l’arrivée des hormones sexuelles, après la 8e semaine de gestation, en attendant qu’à partir de la naissance, les influences culturelles façonnent, de concert avec les hormones, notre genre. De nouvelles données scientifiques, largement validées, dont certaines datent tout de même de quelques décennies, bouleversent le schéma égalitariste et étayent un nouvel ordre au niveau cellulaire, attribuant de fait un sexe à toutes nos cellules et ce depuis la conception.
Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que les DLS, avec une paire de chromosomes sexuels (XX ou XY), apparaissent dès la conception, dès la première cellule, positionnant ces différences à un stade bien antérieur à la différenciation des gonades qui conditionne l’apparition des hormones. Dès le stade blastocyste (100 cellules) avant le 6e jour, avant même l’implantation de l’embryon dans l’utérus, 30 % des gènes y compris des gènes portés par les autres chromosomes s’expriment déjà différentiellement. Le chromosome Y, le plus petit de tous, a rétréci au cours de l’évolution. Certains de ses gènes sont impliqués, entre autres, dans des affections cardiovasculaires.


Le social influence le biologique et réciproquement

Il est donc primordial de faire la distinction entre le « genre » et « sexe ». Quand on parle de « sexe », on se réfère uniquement aux caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des femmes ; le « genre », lui, désigne les rôles, comportements et attributs différenciés déterminés culturellement par le fait que la société les considère comme appropriés au masculin ou au féminin. Sexe et genre s’influencent l’un l’autre, rendant délicate une séparation claire entre les deux notions dans la pratique et les deux termes sont, hélas, souvent confondus. Certains articles scientifiques évoquent même le « genre » de rongeurs ! Si l’égalité en droit suppose une parfaite similitude de fait, toute différence apparaît alors comme une entorse au cadre égalitaire républicain.


Dépasser une vision binaire du sexe

S’il existe des différences statistiquement significatives (parfois modestes et spécifiques) entre hommes et femmes ce n’est pas dire pour autant que chaque homme ou chaque femme correspond à un « type » particulier. En fonction du caractère étudié, les courbes de distribution pour les femmes chevauchent plus ou moins les courbes de distribution pour les hommes. La masculinité et la féminité ne se réduisent pas à un modèle binaire.
Par exemple, il est bien établi que les hommes sont en moyenne plus grands que les femmes, mais cela n’est évidemment pas applicable à chaque homme et chaque femme en particulier. La sourde inquiétude que toute différence soit systématiquement en défaveur des femmes n’est pas justifiée non plus : les garçons sont plus touchés par le retard mental et sont plus agressifs que les filles en moyenne, par exemple. De nombreuses DLS, biologiques, comportementales ou psychologiques, sont en effet bien établies.
Des DLS existent donc dans toutes nos cellules et dépassent largement celles uniquement liées à la reproduction, aux gonades et aux hormones – cela se manifeste plus tard par des différences biologiques plus générales (comme la taille ou la forme du visage) et des différences psychologiques, dépendant à la fois de la « culture » et de la « nature ».
Pour rechercher les différences et les mécanismes en jeu aptes à faire progresser les connaissances et la médecine, il faut en finir avec notre vision obsolète du sexe et admettre enfin que ce n’est pas en occultant les différences que l’on supprimera les discriminations, bien au contraire. Mieux vaut essayer de comprendre comment évolue dans la réciprocité le binôme sexe/genre. Ce sera l’objet de l’article qui paraîtra demain.


Peggy Sastre, auteure de « Le sexe des maladies » (Éditions Favre 2014), et de « La domination masculine n’existe pas » (Éditions Anne Carrière 2015), nous a apporté une large contribution pour la réalisation de cet article et nous l’en remercions chaleureusement.

Claudine Junien, Professeur des Universités Université Versailles Saint Quentin, chercheuse épigénétique à l'INRA, Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines – Université Paris-Saclay and Nicolas Gauvrit, Chercheur au Laboratoire CHart (EPHE/Université Paris-Saint-Denis), Maître de conférences en mathématiques à l'ESPE Lille-Nord-de-France, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis

This article was originally published on The Conversation. Read the original article.