mardi 12 février 2013

Sans être adulte


Il y a toujours cette facilité dans les conseils, et même dans le ton de voix de ceux qui n'ont pas besoin de travailler pour vivre. Pas besoin de gagner leur vie, s'entend. Mais c'est une facilité de non-dits, de sous-entendus.

Comme cet homme que j'aime beaucoup (à la folie) et qui raconte qu'au final, ce n'est pas difficile de quitter la vie, à comprendre comme le rythme imposé des tâches rémunérées. Expliquer qu'on peut subvenir à ses besoins si on les diminue, si on restreint le stock de ses envies marchandes. Bien sûr, évidemment, quand on a comme lui une énorme propriété de famille, et les rentes d'héritage qui vont avec.

Comme cette femme, que j'aime aussi (passionnément) et qui s'amuse de ne pas me voir voyager plus souvent. Pourquoi je ne fais pas ça, c'est vrai : il y a tant de choses à apprendre de New York et de Singapour. Des villes qu'elle a visitées en tant que femme de, avec la prostitution conjugale et les indemnités qui vont avec. Au final, c'est peut-être toujours sur la liberté qu'on rogne pour augmenter sa part de sécurité.

Et je déteste l'aigreur – involontaire, incontrôlable – que je sens monter en moi lorsque je suis en leur compagnie. C'est un terme qui porte d'ailleurs une métaphore vraiment pertinente : le sentiment acidifie, rogne sur ce que je peux/pouvais ressentir de telle ou telle personne, quand ma situation financière était un peu moins tragique. En gros, quand je dépendais bien plus largement de mes parents. La liberté, la sécurité, on y revient.

Alors je travaille, évidement, je turbine. Je prends mission alimentaire sur mission alimentaire. Et c'est bien simple : toute mon existence semble désormais tournée vers le remplissage de mon frigo. Le paiement de mon loyer, de mon chauffage, de mon électricité, de mon essence, de mes charges sociales. Comme tout le monde oui, c'est bien ça le pire.

Parfois, j'ai peur de lire, par crainte de trop mordre sur le petit calendrier organisationnel que je me forge depuis le passage de la nouvelle année : tous les soirs, pour le lendemain, et tous les week-ends pour la semaine qui vient. J'évite aussi de répondre aux mails qui pourraient me lancer sur telle ou telle entreprise « de long-terme » : comprendre, pas immédiatement rémunératrices, si elles le sont un jour. Je me complais dans des loisirs légers pour la tête (qui ne risquent pas de me susciter une inspiration trop chronophage) : des visionnages de blockbusters, de séries, des passages sur les réseaux sociaux. Je me rappelle de mon époque de salariat où, dès la-sortie-du-bureau, je m'avalais des heures de télévision « parce que ça détend ». Comme tout le monde, oui, encore.

Mais je ne pense pas qu'il s'agisse d'une quelconque trop haute estime que j'aurais de moi-même. C'est beaucoup plus basique que cela : il y a des activités qui me donnent envie de crever, d'autres pas. Faire des choses uniquement parce qu'elles sont rémunératrices, et décompter le temps qu'il me reste pour celles qui le sont moins, c'est cela qui me rend séduisant l'appel d'air d'une fenêtre ouverte, au huitième étage.