Se voulant un tour d'horizon du « narcissisme numérique », le nouveau documentaire de Benjamin Rassat ne fait qu'égrainer les clichés les plus éculés sur un Internet « vu à la télé ». En même temps, ça commençait mal. Le mail d'invitation de l'avant-première (même si le film était apparemment déjà passé à la télévision) mentionnait une « invraisemblable bataille » avec Arte et un débat « incisif » entre blogueurs, avant la projection. C'est donc impatiente de découvrir un nouvel adversaire de la censure télévisuelle et d'assister à une foire d’empoigne entre individus se comparant leur nombre de followers comme d'autres essayent de pisser toujours un peu plus loin (« Elle est froide ce matin ! » « Ouais, et profonde.») que je me suis rendue, au cinéma l'Archipel, ce 17 mai, un peu avant 19h30.
Comme on pouvait l'imaginer, l'incisif débat n'avait aucun intérêt, sauf celui d'entendre un clone (ce genre d'individus produits en série, que vous êtes à peu près sûr d'avoir déjà vu, sans être complètement certain de l'avoir réellement rencontré) raconter qu'à « 23 ans » il s'était mis « assez tard à Internet ». (Ma profonde infiltration du milieu blogosphérique – mon cul – m'a permis plus d'une semaine plus tard d'identifier le sus-dit clone en la personne d'un dénommé Cyril Paglino, aussi célèbre, m'a-t-on dit, pour sa participation à une émission de télé-réalité que pour un coït présumé avec une blogueuse « beauté » se démaquillant avec « deux » cotons).
Ensuite, le réalisateur, Benjamin Rassat, dont j'avais pourtant bien apprécié le précédent documentaire, « Quand l'Internet fait des bulles » prit la parole (même s'il ne l'avait pas non plus vraiment lâchée pendant le débat) pour se placer d’emblée sous le double patronage de Claude Lanzmann (parce que, dans Shoah, comme chez Rassat, il y a de la « mise en scène », voyez), et de Stanley Kubrick (même si, compte tenu de la citation du cinéaste, tellement apprise par cœur qu'elle paraissait récitée par le robot de la SNCF, je n'ai pas vraiment compris quel était le rapport avec la choucroute). Ah oui, bon, d'accord.
Place au film, éteignage de lumières, attention.
Le point positif de « I am the media » est qu'il est court et assez peu ennuyeux (néanmoins, à un moment, j'ai remarqué qu'il faisait très chaud). Les points négatifs ? Tout le reste. Alors que, visiblement, ce documentaire se présentait comme un tour d'horizon du « narcissisme numérique », il donne la désagréable impression d'être une collection de clichés sur un Internet « vu à la télé », conçue par une personne qui n'y connaît pas grand chose.
A la différence de « Quand l'Internet fait des bulles » dans lequel le réalisateur s'effaçait parfaitement pour donner la parole à des « experts », le personnage central de « I am the media » est...Benjamin Rassat (vous allez me dire, que c'est là le « concept au niveau du présupposé filmique d'un document sur le narcissisme »...oui, mais non), devenu, pour le bien de l'art (car Rassat, sur sa page Wikipédia, est « artiste ») vraie-fausse « figure » de l'Internet en perdition (et bronzée) sur un bateau mouillant près d'une quelconque plage exotique. Face caméra, le faux Rassat conseille au vrai quelques pistes pour son documentaire – et en pose là le « fil rouge ». On se poile, on rigole, glou-glou.
Premier problème : toutes ces « pistes » sont définies par leur géographie (Brésil/Japon/Allemagne/États-Unis etc.), et on ne voit pas trop l'intérêt, à part peut-être celui de justifier le remboursement par Arte des billets d'avion et autres émoluments touristiques de l'équipe du film (oh une remarque de mauvaise esprit).
Deuxième problème : l'approximation. Alors certes, cela fait aussi partie du « concept » du « documentaire où rien n'est vrai » de ne pas trop s'attacher aux faits, mais il aurait peut-être été judicieux de ne pas, non plus, prendre (trop) son spectateur pour un con. Ne pas présenter par exemple la vlogueuse Magibon comme japonaise, alors qu'elle est pennsylvanienne pur sucre (deux minutes de recherche Google apprennent par exemple qu'elle vient d'une « famille très traditionnelle » qui ne « comprend rien aux cultures étrangères ») - son « intérêt » venant justement du fait qu'en ne baragouinant que deux mots appris dans les mangas, Magibon a réussi à attirer toute une foule de spectateurs japonais (mais certes, une telle info ne colle pas trop avec le parti-pris « géographique » du film). Ou encore, ne pas trop appuyer la distinction « site » (bien, élitiste) et « blog » (popu, caca) en parlant d'Andrew Keen quand son url se termine par .typepad...
Mais tout cela serait encore anecdotique, et finalement tolérable, si « I am the media » ne ressemblait pas à un énorme foutage de gueule, se concentrant uniquement sur l'Internet « buzzique » et aussi « influenceur » que les quatre péquins présents avant la projection (ou que mes couilles, pour parler vulgaire). Chez Rassat, l'Internet n'est affaire que de pages vues, de vidéos, de statistiques Youtube (mais faussées, hi hi), de « personnalités » ne faisant la « une » que des magazines et autres médias de l'ancien monde (Andrew Keen-le-gros-réac-méchant-anti-Wikipédia, ou encore Loïc le Meur se demandant pourquoi, après s'être filmé en train de faire son jogging, « tout le monde le prend pour un abruti » et qui doit être à l'Internet ce que les « taz » sont à Facebook...) - et la seule personne qui y écrit (Meenakshi Madhavan), y parle de cul.
Quand les lumières se sont rallumées, j'avais pitié de Thierry Ehrmann, pour ses 40 secondes d'apparition (« qu'allait-il faire dans cette galère ?») et trouvais encore trop long le caméo sur-furtif (ayant tout de même demandé une demi-journée de tournage) d'Alexander Bard et Jan Söderqvist (pour lequel j'ai été remerciée au générique ??). Mais à quelque chose, malheur est bon, mon déplacement de couenne, ce soir-là, en IRL, aura profité à l' « art » de Benjamin Rassat : devant mon ordinateur, j'aurais quitté la salle depuis longtemps.