En plus de l'été, qui n'est pas (en soi) une saison facile pour mes nerfs, il y a ce spectacle, hébété, irréel, des choses qui se passent aujourd'hui et ici. Les discours, les accents, les phrases répétées, l'insistance. Une rhétorique qui n'en est plus une, pas des mots mis en jolie forme mais des messages qui passent, des réalités, des choses concrètes, des actions, des vies concrètement malmenées pour cause d'origines, de modes de vie pas convenables. Des individus illégaux, repoussés au-delà des frontières, des miettes qui piquent trop les draps cachées sous le tapis.
Il y a toujours ce débat tarte à la crème : si tu as un pistolet sur la tempe, tu choisis quoi la liberté de mouvement ou la liberté de parole ? J'ai envie, là, de formules amphigouriques et de dire que dans ce pays qui n'est pas le mien, « nous » avons perdu les deux.
D'un côté, il y a tous ceux qu'on expulse et qu'on traque, les flics avec leurs gros pistolets qui t'arrêtent parce que tu es un criminel de la route (par exemple) et qui te plaquent, un pied sur ton dos, de peur que, peut-être, tu caches une 22 dans ton slip. Et où la bavure ne sera que légitime défense. Les mots, les phrases qui résonnent, mais quand même ouatés, dissimulés, parce que mon cerveau n'admet pas qu'ils y rentrent : « les dangers sociaux », les « individus socialement dangereux », les « nuisibles », les bons et les pas bons, droite gauche, devant debout avance un pas après l'autre, et ferme-la si tu ne veux pas qu'on en pouffe.
Car de l'autre il y a ceux qui s'amusent – et au final, comment leur en vouloir –, c'est tellement pathétique tout ça, c'est tellement sujet a priori (« avant et en dehors de l'expérience ») à la rigolade comme dernier moyen de survie. C'est léger, c'est français, youpi, ça passe, qu'on retrouve et qu'on châtie. Parce ce qu' « on » ne cherche plus ni ne juge : on retrouve et on châtie. On enfermera, on les mettra à leur place, on lui livrera une guerre sans merci à la menace des valeurs, sans permissivité, sans démission.
Des valeurs, je n'en ai pas. Comme des origines d'ailleurs (« ce n'est pas parce que tu es né dans une porcherie que tu es un cochon »), dans une famille réduite à ses portions congrues. Pas d'arbre généalogique attesté mais des rumeurs, des choses qui ne se demandent pas, là aussi, trop tant elles déclenchent l'hystérie, les sentiments qu'on garde à l'abri comme les tripes – et si ça sort ça fait tâche.
En grandissant, je rencontre des gens qui ont le même prénom que leurs oncles ou que leurs cousins, qui font de grandes tablées d'individus pas morts plusieurs fois l'an, des gens qui connaissent l'origine géographique de leur caste, qui y font même des pèlerinages, touchent les pierres des maisons effondrées avec (visiblement) un sentiment de fierté leur gonflant la poitrine. D'autres qui naissent, frayent et meurent dans un rayon de 20 km (comme les saumons). En Estonie, on me regarde les yeux comme on pourrait jauger mes gencives – on n'en voit rarement des aussi foncés, par ici, me dit-on. Je m'en fous, cela n'a pas d'importance – ce n'est même pas secondaire, ça n'existe pas. Ce n'est pas parce que tu es né dans une porcherie que tu es un cochon, je me le répète, et j'ai rien à me reprocher.
Chez moi, on s'intègre, on ment sur son âge pour se montrer digne d'une nouvelle nationalité, faire la guerre, montrer ses cicatrices et voter front national. Ou on peut fuir aussi, se suicider, ne pas apprendre à ses enfants une langue qu'un jour, peut-être, d'autres on leur reprocheront de connaître, cacher les preuves, les détruire. Une sorte de certitude, pas tout à fait consciemment admise, que les origines, c'est juste un truc bon pour te faire chier. Un truc pour aligner des têtes, et couper celles qui dépassent d'un sens vraisemblablement plus très « bon », aujourd'hui et ici.