Les publicités sexistes n'ont plus droit de cité au Royaume-Uni. Depuis le 14 juin, l'organisme chargé du contrôle des publicités diffusées dans les médias traditionnels et numériques, l'ASA, traque et censure tout contenu véhiculant des « stéréotypes de genre potentiellement dommageables ». Parmi les représentations hors-la-loi, le shérif des réclames cite la ménagère jonglant entre les lessives et l'aspirateur pendant que son mari n'en fout pas une ou le businessman en pleine bouffée de panique devant un paquet de couches. Selon l'ASA, ces directives sont issues d'un rapport, publié en juillet 2017, riche en « preuves suggérant que des stéréotypes nuisibles peuvent restreindre les choix, les aspirations et les opportunités des enfants, adolescents et adultes, et que ces stéréotypes peuvent être renforcés par certaines publicités pour contribuer aux inégalités de résultats liées au genre dans la société ».
Ce champ lexical délicieusement
bureaucratique où l'on frémit face aux méchants stéréotypes, aux
opportunités cadenassées et à la bigarrure des existences est issu
d'une littérature académique et militante où les « preuves »
sont en réalité aussi fragiles que sont fortes les contraintes
qu'elles motivent. Soit la merveilleuse recette d'une usine à gaz
aux coûts d'exécution inversement proportionnels à son efficacité,
et donc à l'assentiment qu'elle est à même de susciter.
La règle est aussi élémentaire que
trop souvent ignorée : avant de prendre des mesures liberticides et,
par définition, susceptibles d'être froidement accueillies, il
convient de démontrer de manière robuste qu'elles apporteront des
bénéfices importants à une grande partie de la population, tant
elles correspondent à des problèmes dont la réalité, l'ampleur et
la gravité en justifieront les coûts, les contraintes et les
contrôles.
La principale assise théorique de la chasse à la pub sexiste est la « menace du stéréotype » qui, pour la résumer, énonce que les préjugés auraient une action auto-handicapante sur les individus – c'est l'idée qu'un même exercice serait plus ou moins bien réussi par des filles selon qu'il est présenté comme du « dessin » ou de la « géométrie » parce que « la société » pousse les petites filles à douter de leurs compétences mathématiques et, en fin de compte, les empêche de devenir astronautes. Sauf qu'à l'heure où les sciences humaines et biomédicales sont en pleine crise de la reproductibilité, la faiblesse de cette théorie ne cesse d'être dénoncée par les experts.
En d'autres termes, la censure que met en œuvre l'ASA repose sur un château de sable scientifique. Le pire dans l'histoire ? Que les censeurs n'ont même pas consulté le rapport qu'ils prétendent exploiter car on peut y lire : « Concernant l'origine des différences genrées, il n'existe aucun consensus scientifique et elles sont probablement le fruit d'une combinaison de facteurs innés et culturels. La littérature n'est pas concluante sur le rôle que joue la publicité dans la construction ou le renforcement des stéréotypes de genre comme dans les comportements genrés stéréotypés ». À moins qu'ils n'aient choisi de l'ignorer et de suivre la voie de l'ingénierie sociale, aussi idéologiquement biaisée que socialement incendiaire.
Version originale de l'éditorial paru dans Le Point le 15 juillet 2019