Je me suis donc, ces jours-ci, penchée sur l'histoire de ce médecin américain assassiné pour avoir pratiqué des avortement tardifs. Une histoire purement américano-américaine, car on ne tue pas des avorteurs en France, parce qu'il n'y a pas d'avorteurs en France, il n'y a que des gynécologues à qui il arrive de pratiquer des avortements, et pas tardifs, non, des IMG, ou interruptions médicales de grossesse, des trucs sérieux avalisés médicalement, car il y a risques graves (ie. mort ou léguminite), pour le fœtus, pour la mère, pour les deux – brefs, ce n'était pas comme avec George Tiller qui, peut-on lire à droite et à gauche, démembrait avec un air sadique les petits pieds et les petits bras de bébés tout droit sortis des ventres chauds des mères trop connes pour s'en être aperçues avant, qu'il y avait un truc qui leur poussait de travers, à l'intérieur.
Le faible [par rapport à son importance absolue, personnellement, je trouve] traitement médiatique de l'assassinat de George Tiller le présente donc, peu ou prou, comme un médecin de confort. On se gargarise que ça ne puisse pas nous arriver, chez nous, à nous, les bien-portants de l'éthique gestative. Car c'est bien écrit, dans notre code de la santé publique, que les IMG ne doivent être pratiquées uniquement s'il y a risque grave pour la mère, si le fœtus est atteint d'une pathologie incurable (« et/ou »), qu'il faut l'accord de deux médecins... absolument comme au Kansas, lieu d'exercice et de mort de feu Dr Tiller. A ceci près que le Dr Tiller, semble-t-il, privilégiait les cas où seule la santé de la mère était en jeu (un simple « ou ») – d'où l'impression de confort, d'interventions superflues, de caprices, et de sadisme. Car si l'enfant était viable, alors que vogue la galère...
A tous ceux qui pensent ainsi, matraqués par une presse trop occupée à dépiauter en temps réel la carcasse d'un avion noyé pour s'intéresser précisément au cas « américano-américain » de l'assassinat d'un médecin, je leur demanderai d'imaginer le confort que peut représenter la sensation d'avoir quelque-chose qui se développe à l'intérieur de vous sans que vous l'ayez désiré, quelque-chose qui met votre vie en danger, ou quelque-chose qui, une fois sorti, risque de vous laisser handicapée, ruinée, déprimée... un quelque-chose que vous n'avez pas le droit de penser quelque-chose, parce que la vie vous a fait un merveilleux cadeau, parce que votre cousine, après 4 FIV infructueuses vous regarde avec un air mauvais, parce que votre curé vous promet l'enfer, ou parce que, tout simplement, vous ne pouvez pas penser que c'est là quelque-chose et encore moins le dire.
Je vais donc m'évertuer à dire ce qui ne se dit pas. Je n'ai jamais ressenti de plus grande douleur psychologique et physique que lors du minuscule temps où j'étais enceinte. Le simple fait de me remémorer les restes huileux de souvenirs des tests positifs, de la course contre la montre, des mensonges et des dissimulations, le simple mot d'enceinte appliqué à ma personne, pourrait me donner, encore aujourd'hui, envie de sauter par cette fenêtre ensoleillée. Bien sûr, il s'agit là d'une expérience personnelle, et rien ne me donne le droit de la généraliser. Bien sûr, j'ai eu la chance de suivre précisément l'état de mon cycle ovarien, j'ai eu la chance d'avoir le réflexe de faire un test de grossesse dès le premier jour de retard, j'ai eu la chance d'aller en confirmer le résultat chez un gynécologue qui comprenait ma détresse, j'ai eu la chance de savoir ce que je voulais (ou ne voulais pas), j'ai eu la chance de vivre dans un pays où l'on vous demande de justifier votre choix devant un lologue qui prend des notes sur sa petite fiche à ranger dans le petit tiroir du petit casier et à ressortir, au cas où, trois ans plus tard, je me serais mise à errer dans les rues à me râper sur des murs en meulière et en hurlant « A dingo ate my baby », le tout entrecoupé de menaces de procès envers les autorités médicales qui m'avaient permis de me pas me soulager à l'aide un pessaire au persil... Et j'ai d'ailleurs eu la chance de ne pas changer d'avis ni de regretter un seul instant ce choix. Car on ne sait jamais, les hommes sont si versatiles, et LA femme, je n'en parle même pas.
Alors oui, oui, oui, entendu, je ne vais pas, comme le faisait visiblement le Dr Tiller-qui-a-quand-même-bien-mérité-son-sort-parce-que-quand-même-son-travail-était-idéologique, me jeter sur les utérus des femmes enceintes qui passent à ma portée pour les vider à coup de dents. Non, non, non, car je n'ai pas le droit d'agir sur la liberté d'autrui, de la même manière qu'autrui n'a pas le droit de... oui mais non car si tout le monde pensait comme toi alors il n'y aurait plus de bébés sur la terre et parce qu'il faut bien mettre des bornes sinon ya plus de limites vu qu'on a tous nos instincts grégaires, l'inverse n'est pas vrai.
Exact.
3 commentaires:
J'avais envisagé d'écrire un article sur la question mais j'ai finalement pas eu le courage. J'aurais pas fait mieux de toute façon.
merci :-)
"le simple mot d'enceinte appliqué à ma personne, pourrait me donner, encore aujourd'hui, envie de sauter par cette fenêtre ensoleillée"
Voilà qui est une excellente description.
Pour ma part il s'agit d'une simple envie de vomir accompagnée de l'horripilation de tout ce que j'ai de poils, mais j'ai la chance que ce mot ne s'est jamais directement appliqué à moi.
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