A haute voix j'ai dit : "Qui est vivant ? qui est mort ?" Personne ne m'a jeté un regard. Au contraire, les corps se sont tassés un peu plus, la tête rentrée dans les épaules. Qui est vivant ? Qui est mort ? Est-ce que c'est possible encore de savoir ça ? Une tête, un tronc, deux jambes et deux bras pour branler le tronc. De la cendre en divague qui agite les ombres : vous appelez ça des corps ? Il n'y a plus de corps. Il n'y a qu'un brouillard de tics. Une déferlante de gestes morts, qui bougent tous seuls, comme ces grenouilles crevées qu'on pique à l'acide : elles réagissent par réflexe. Le réflexe est plus fort que la mort. Alors ça déborde les trottoirs, tous ces tics montés sur pattes, cette forêt de saccades en vrac, de tressautements qui s'accablent. Toute cette hystérie navrée qui grouille et réclame en silence après sa peine.
Yannick Haenel, Cercle