dimanche 8 décembre 2019

Chronique "Peggy la Science", in Causeur n°71 (septembre 2019)

Le pire n'est jamais certain

Comme son nom l'indique, le trouble anxieux généralisé (TAG) se caractérise par la peur de tout et de n'importe quoi, un sentiment d'angoisse diffus qui ne vous quitte pas, des soucis excessifs, la conviction que le pire est toujours sûr et que tout tournera forcément mal. Véritable et très handicapante maladie qui ne se résume pas au seul fait d'avoir une mère ashkénaze, sa thérapie cognitive de choix consiste, avec l'aide d'un professionnel en santé mentale, à considérer ses angoisses comme des hypothèses et à voir si la vie les confirme ou non. Sauf qu'à l'instar des paranoïaques qui ne sont pas forcément dénués d'ennemis, on peut parfaitement envisager que les angoisses des anxieux ne soient pas toujours ni automatiquement irrationnelles. Deux chercheurs en psychologie clinique affiliés à l'université de Pennsylvanie (États-Unis) viennent de se pencher sur la question – à quelle fréquence ces préoccupations sont-elles fondées ? Leur réponse et bonne nouvelle : quasi jamais. Dans leur étude, 28 patients atteints de trouble anxieux généralisé devaient, tous les jours et plusieurs fois par jour (on le leur rappelait par SMS) noter le plus précisément possible toutes les angoisses qui leur passaient par la tête. Ensuite, pendant un mois, ils étaient invités à les surveiller et à dire aux chercheurs si elles finissaient par se réaliser. Bien sûr, l'expérience s'est focalisée sur des soucis réalisables le temps de l'exercice – donc oui pour « je vais louper mon examen demain », mais non pour « je vais mourir d'un cancer » ou « les nazis vont revenir ». En moyenne, les participants ont signalé entre trois et quatre soucis testables par jour. Résultat ? 91,4% des angoisses n'ont donné aucune suite et sur les 8,6% restants, les choses ont été moins pires que prévu dans un cas sur trois. Pour environ un participant sur quatre, aucune angoisse ne s'est jamais réalisée durant l'expérience. L'étude confirme par ailleurs le bien-fondé de la thérapie cognitive de l'anxiété généralisée : le fait de se concentrer sur ses soucis et de surveiller leur potentielle concrétisation se traduit par une amélioration notable de son état. À l'inverse, les quelques patients qui ont vu leurs préoccupations se réaliser étaient en moins bonne forme à la fin qu'au début de l'expérience. On touche ici du doigt la fonction adaptative de l'anxiété : nous dire de faire attention aux dangers. Et comme les détecteurs de fumée, c'est beaucoup moins grave s'ils se déclenchent trop que pas assez.

Vieux mythos

Quelle est la meilleure technique pour vivre centenaire ? Le régime crétois ? Faire dix-mille pas par jour ? Avoir un chien, un chat, ne pas fumer et limiter la viande rouge ? Selon l'état actuel des recherches, les records de longévité des fameuses « zones bleues », ces régions du monde où l'espérance de vie est significativement supérieure à la moyenne des mortels, sont principalement dus à la génétique, à une alimentation riche en légumes et à un épais tissu social. Mais selon Saul Justin Newman, facétieux chercheur en sciences des données affilié à l'université nationale australienne, il y aurait un autre facteur à prendre en compte : le bidonnage. Dans une étude en attente de publication, il montre en effet que l'arrivée de certificats de naissance aux États-Unis s'est soldé par une chute de 69 à 82% du nombre de centenaires. De même, les zones bleues parmi les plus célèbres comme la Sardaigne ou les îles d'Okinawa, au Japon, se caractérisent par un faible niveau de vie, un taux d'alphabétisation au ras des pâquerettes, une criminalité en roue libre et une espérance de vie inférieure aux diverses moyennes nationales. Ce qui fait dire à Newman que « la pauvreté relative et une courte espérance de vie constituent des prédicteurs inattendus d'un statut de centenaire et supercentenaire, et étayent le rôle primordial de la fraude et de l'erreur dans la survenue de records de longévité ». Jeanne Calment, qu'un généalogiste russe dit avoir falsifié le certificat de naissance de sa mère pour frauder les assurances et le trésor public, pourrait s'en retourner dans sa tombe.

Qui ne pine pas dort

Certains souvenirs durent toute une vie, d'autres s'effacent en un quart de seconde. Il semblerait qu'il y ait un lien avec le sommeil. Plusieurs études menées sur des rongeurs montrent en effet que les circuits neuronaux actifs pendant l'apprentissage se « rallument » lorsqu'ils dorment. Ce processus semblable à notre sommeil paradoxal pourrait renforcer la mémoire en transférant l'information dans des zones de stockage à long terme. Mais la cervelle mammifère étant ce qu'elle est – complexe – en décrypter plus avant les mécanismes n'est pas chose facile. D'où l'idée de chercheurs de l'Howard Hughes Medical Institute (États-Unis) de se tourner vers les mouches du vinaigre, sympathique bestiole n'ayant, insigne avantage, que quelques neurones dans sa caboche À l'aide d'outils de génétique moléculaire, Ugur Dag et ses collègues ont analysé comment le sommeil jouait sur l'apprentissage de la mouche en général et, en particulier, sur son apprentissage de la séduction. De fait, chez l'insecte, les femelles ont tendance à ne plus vouloir batifoler lorsqu'elles ont déjà été honorées et les mâles ont donc tout intérêt à apprendre quelles belles approcher et lesquelles autres ignorer s'ils ne veulent pas perdre leur temps (qu'ils n'ont pas à foison, car même sans acte de naissance en bonne et due forme, la mouche du vinaigre meurt vite). En moyenne, le souvenir d'un râteau dure une journée chez monsieur mouche. Ce que Dag et al. ont observé, c'est que les mâles qui s'étaient pris plusieurs vestes passaient plus de temps à roupiller. En outre, si les sadiques scientifiques les privaient de sommeil, les mouches n'apprenaient pas de leurs erreurs. Le tout ayant à voir avec les neurones sécréteurs de dopamine, contrôlant à la fois le sommeil et le stockage des souvenirs à long terme.

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