Evolution, piège à cons
C'est un paradoxe du comportement
humain dans les sociétés industrielles : en tendance, un
statut socio-économique élevé y est négativement associé au
succès reproductif. En d'autres termes et à la louche, les riches
font moins d'enfants que les pauvres. Un phénomène des plus
perturbants lorsqu'on a Darwin en tête, car en toute bonne logique
évolutionnaire, en avoir dans les poches (surtout lorsqu'on est un
homme) augmente à la fois vos chances auprès de ces dames et votre
capacité à sustenter les besoins (forts gourmands) d'une
descendance. Une tripotée d'études montrent d'ailleurs qu'il en est
ainsi dans les sociétés pré-industrielles peuplant la littérature
anthropologique et ethnologique – quelques cadors se partagent la
part du lion de la procréation, tandis qu'une foule de miséreux
meurent sans avoir eu l'heur de transmettre leurs gènes aux
générations futures. Mais dès que la modernité pointe le bout de
son nez, la corrélation semble s'inverser, tant et si bien que des
esprits chagrins y ont vu un gros indice du fléchissement des lois
de la sélection naturelle dans nos cervelles contemporaines, voire
un sacré caillou dans la chaussure des sciences darwiniennes du
comportement.
Sauf qu'il semblerait que cette
inversion des courbes ne soit en réalité qu'une illusion générée
par des études mal fagotées, comme l'avancent des chercheurs
affiliés notamment à l'université de Stockholm et à l'Institut
Max Planck de démographie. Le QI étant lourdement associé au
statut social, Martin Kolk et Kieron Barclay ont eu la riche idée
d'analyser les liens entre fertilité et aptitude cognitive générale.
Pour ne pas bouder leur plaisir, ils ont pondu l'étude la plus
solide à ce jour en passant à la moulinette statistique les données
de 779.146 hommes (soit tous les Suédois nés entre 1951 et 1967,
merci les registres du service militaire) dont la prolificité a été
surveillée jusqu'à leurs 50 ans bien tapés (une limite standard de
la fenêtre reproductive masculine). Que trouve-t-on dans ce bijou
méthodologique ? Que par rapport aux individus dans la moyenne
(QI à 100), le groupe le moins doté en intelligence (QI < 76) a
0,56 enfant en moins, tandis que les plus cognitivement privilégiés
(QI > 126) en ont 0,09 de plus. La différence pourrait sembler
faible, mais elle est largement suffisante pour que les effets
cumulés de cette reproduction différentielle se fassent sentir à
l'échelle historique d'une population. Et même sans élargir autant
la focale, le phénomène est palpable : dans la cohorte examinée
par les scientifiques, les hommes à très petit QI ont bien plus de
risque de mourir sans descendance (ou de faire tout au plus un seul
enfant) par rapport aux gros QI, qui laissent fréquemment derrière
eux deux ou trois héritiers. Au passage, que ceux qui flipperaient
de voir l'idiocratie advenir après-demain se rassurent, le lien
positif entre la reproduction de ces messieurs et leur intelligence
semble toujours exister, comme ce fut le cas pendant les centaines de
milliers de générations qui nous ont précédés et qui nous ont
permis de devenir le singe relativement débonnaire que nous sommes
aujourd'hui.
Pour Michel Raymond, directeur de
recherche au CNRS et responsable de l'équipe Biologie Évolutive
Humaine au sein de l'Institut des Sciences de l'évolution de
l'université de Montpellier, une telle sélection différentielle
pour les capacités cognitives – au cours de notre histoire
évolutive, les gènes des forts en thème ont mieux perduré que
ceux des corniauds – explique le « gros organe cognitif »
que contient notre « grosse tête », surtout si on
la compare aux « primates dont nous sommes les cousins ».
Reste qu'on
touche ici un autre paradoxe : toute mirifique qu'elle soit,
notre cervelle a encore du mal à comprendre les mécanismes dont
elle est le fruit. Raymond y voit principalement deux raisons. La
première relève d'une « habitude
de baigner dans le dualisme pénétrant les nombreuses facettes de
notre culture » avec
une « séparation de
l'esprit et du corps [qui] tend à prêter à la cognition des
propriétés que la science ignore ».
Ici, le monde magique de Harry Potter est un cas d'école où l'on
trouve d'ailleurs la seconde raison de l'ascension poussive du
darwinisme vers notre cervelle : les propriétés cognitives
extra-normales ne sont que très rarement associées à la fertilité
dans nos productions culturelles les plus populaires et les plus
influentes. Sauf que si une meilleure capacité cognitive ne conduit
pas à laisser davantage de descendants dans la nature, comment une
cognition aussi complexe que la nôtre aurait-elle pu évoluer ?
« Non
seulement les enjeux reproductifs ne sont pas expliqués à l'écolier
pour mieux comprendre l'Histoire, les agissements des rois et des
empereurs, les guerres et les conquêtes, mais la reproduction est
aussi absente de l'imaginaire collectif,
note Raymond. Ainsi, Dumbledore n'a
pas d'enfant, tout comme l'autre très puissant sorcier Voldemort ».
Ce qui caractérise aussi Merlin l'enchanteur et bien d'autres
personnages de fiction dont les facultés mentales nous émerveillent.
L'humain n'échappe pas à la règle, même si la règle semble vouloir encore et toujours lui échapper.
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