A priori, passer une bonne moitié de
sa vie sans pouvoir se reproduire ne sert à rien (du moins sur un
plan biologique). Tel est pourtant le lot des femelles chez certains
animaux, comme dans notre espèce et chez quelques grands mammifères
marins comme les orques. Serions-nous des anomalies de la nature ?
Que nenni. L'astuce, dictée par la dure loi de la sélection de
parentèle, c'est que la fin de la période fertile ne signifie pas
forcément l'arrêt complet du destin génétique. En effet, les
diverses attentions portées à une progéniture arrivée, elle, à
maturité sexuelle, peuvent se traduire par une amélioration de son
succès reproducteur individuel tout en s'épargnant les risques
inhérents à une reproduction en état de senescence avancée – en
partant du principe que vous partagez 50% de votre patrimoine
génétique avec vos enfants, mieux vaut qu'ils procréent comme des
lapins car vous empocherez 25% supplémentaires à chaque tête de
pipe. Cet « effet grand-mère » est avancé pour
expliquer l'apparition de la ménopause chez l'humaine qui, à partir
d'un certain âge, a davantage à gagner à subvenir à la
reproduction de ses enfants et petits-enfants qu'en se fadant
elle-même tout le boulot de la gestation et de l'élevage. Jusqu'à
présent, le phénomène avait surtout été observé sur des
filiations féminines : parce que la reproduction mâle est bien
plus incertaine, mieux vaut placer ses billes sur le ventre de ses
filles. Mais il semblerait que chez les bonobos, célèbres à la
fois pour leurs matriarcats et leur conséquent interventionnisme
sexuel, les mères gagnent le gros lot génétique en aidant leurs
fils à féconder à tour de bras et ce contrairement aux chimpanzés
– leurs très proches cousins plus belliqueux et patriarcaux.
Plusieurs stratégies sont mises en œuvre par les mamans bonobos :
attirer fiston dans des endroits où pullulent les femelles en
chaleur, faire fuir d'éventuels concurrents lorsqu'il a une
ouverture et user de son statut social pour lui dégoter les
meilleurs partis. Les scientifiques formulent d'ailleurs une
hypothèse propre à faire défaillir une féministe orthodoxe :
si les bonobos femelles forment de si puissantes coalitions, ce n'est
pas parce qu'elles sont de fières amazones ayant déconstruit avant
tout le monde la « masculinité toxique », mais parce que
cela sert les intérêts reproductifs de leurs fils (et les leurs,
par la même occasion). Les chiffres parlent d'eux-mêmes :
lorsqu'ils ont maman dans les parages, les bonobos mâles ont jusqu'à
trois fois plus de chances que les esseulés de devenir d'heureux
papas.
À écouter bien des culturalistes, on
en viendrait à croire que les échanges économico-sexuels ne sont
que les fruits d'un système de production capitaliste lentement
constitué dans notre très oppressive et inégalitaire espèce
depuis l'apparition de l'agriculture. Sauf que des chercheurs de
l'université de Tel Aviv viennent de tomber sur un gros os pour
cette théorie : chez les très mignonnes roussettes d’Égypte,
des chauve-souris frugivores, les femelles (ces traînées !)
échangent de la nourriture contre du sexe et les mâles pourvoyeurs
(ces porcs!) ont ainsi plus de chances de se reproduire que les
autres. Heureusement, l'étude ne fait pas que fragiliser l'assise
factuelle du féminisme matérialiste, elle permet aussi d'éclaircir
le mystère évolutionnaire que peut être le partage alimentaire
lorsque que les avantages qu'en retirent les fournisseurs ne sont pas
toujours évidents (en dehors des liens de parenté mentionnés
précédemment). Les scientifiques parlent parfois de « vol
toléré » lorsque que la riposte au pillage de ressources
n'est pas rentable pour le floué. À l'inverse, servir ses
congénères peut se révéler très avantageux pour le statut social
(comme lors du potlatch où ce sont les excès de dépense qui sont
les mieux vus) et le succès reproducteur qui lui est généralement
attaché. Dans les espèces où les rapports sociaux sont plus ou
moins durables, comme les chimpanzés ou les humains, subvenir aux
besoins alimentaires de femelles est une stratégie gagnant-gagnant :
chez les chasseurs-cueilleurs, il existe une corrélation positive
directe entre la générosité d'un individu (en termes de quantité
d'aliments offerts au groupe) et le nombre d'enfants qu'il aura. Cet
échange « sexe contre nourriture » est donc désormais
attesté chez les mammifères volants : les mâles qui se
laissent chiper de la nourriture sur leur museau par des femelles
voient leurs dons récompensés en tests de paternité positifs.
L’Australie et le Royaume-Uni ont un
sacré handicap dans la vie : leurs législations ne leur
permettent pas de rémunérer les dons de sperme ni de garantir
l'anonymat aux hommes offrant leur précieuse semence à la
communauté. Cette valeur n'est pas qu'une figure de style :
dans le monde, les banques de sperme constituent une industrie
dépassant aujourd'hui les 3 milliards d'euros. Avec l'essor des
fécondations in vitro, que ce soit pour des raisons médicales ou
sociétales marquant une plus grande tolérance pour les familles
monoparentales ou les couples homosexuels, le secteur est promis à
une belle croissance. Alors comment faire pour éviter la pénurie de
gamètes et inciter aux dons bénévoles ? Selon l'équipe de
Laetitia Mimoun, de la Cass Business School de l'université de
Londres, jouer sur les archétypes de la masculinité est une
excellente stratégie. En l'espèce, son étude montre que les
banques de sperme britanniques et australiennes axant leur marketing
sur les figures du héros ou chevalier servant sont les plus à même
de renflouer leurs stocks. Dans tous les cas, le don de sperme est
présenté comme un moyen d'affirmer sa virilité, que ce soit en
acceptant un sacrifice (figure du héros, du soldat, etc.) soit en
sauvant une vie (comme le font les pompiers ou les secouristes).
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