Tous les animaux sont capables d'apprendre mais la complexité de l'apprentissage spatial n'est pas donnée à tout le monde. Comme son nom l'indique, l'apprentissage spatial désigne le processus grâce auquel un organisme arrive à se repérer dans un endroit donné et à adapter son comportement en fonction des informations mémorisées. Jusqu'à présent, cette aptitude n'avait été démontrée que chez les vertébrés et quelques insectes – les fourmis et les abeilles sont parmi les bestioles les plus spatialement futées, c'est-à-dire flexibles, de la planète. Du côté de leurs cousins crustacés, les données se font plus rares. Que les crustacés possèdent significativement moins de neurones que les insectes – un cerveau d'écrevisse renferme grosso modo 90.000 neurones, contre plus d'un million chez l'abeille – pourrait prédire quelque difficulté en la matière. Mais en fait non : les crustacés décapodes manifestent une belle sophistication cognitive et parviennent à intégrer un itinéraire ou à naviguer dans un lieu inconnu. D'où l'idée d'une équipe de chercheurs en biologie marine : prendre une douzaine de crabes enragés (c'est le nom de l'espèce, pas de leur maladie) pour voir s'ils arrivaient à se débrouiller dans un labyrinthe débouchant sur une récompense – une moule – et à se rappeler l'itinéraire quatre semaines plus tard. Pour parvenir au bout du labyrinthe et pendant une heure maximum, les crabes devaient effectuer cinq changements de direction et risquaient à trois reprises le cul-de-sac. Ce qui n'est pas rien, qu'on possède ou non une cervelle de crabe. En quatre semaines, à raison d'un essai par semaine, les chercheurs ont observé un progrès constant de leurs cobayes à pinces. Au bout de trois semaines, les crabes trouvaient la sortie à tous les coups, arrivaient même à la moule de plus en plus vite et, plus important encore, prenaient la mauvaise direction bien moins souvent. Deux semaines plus tard, les scientifiques allaient complexifier l'exercice : plus aucune moule n'attendait les crustacés ! Pas de panique, tout ce petit monde a relevé le défi en moins de 8 minutes.
Dans certaines régions du Ghana, lorsque quelqu'un se suicide, on sort son cadavre par la fenêtre ou par un trou creusé spécialement dans un mur pour préserver la maison du mauvais œil. Si le suicidé s'est pendu à un arbre, il doit être abattu et brûlé. Aux États-Unis, une chambre d'hôtel de luxe est dévaluée aux yeux de potentiels clients si quelqu'un s'y est donné la mort. Selon Jesse Bering et ses collègues, les tabous stigmatisant le suicide dans le monde entier sont renforcés par un biais cognitif : l'essentialisme psychologique. Soit l'idée que les parties d'un tout posséderaient une nature interne, invisible, une essence qui leur donnerait une identité fixe et dicterait leurs comportements. L'essentialisme psychologique va souvent de pair avec la contamination symbolique, soit la croyance qu'il suffit à deux objets (ou entités) de se retrouver en présence l'un de l'autre pour échanger des propriétés de manière irrémédiable. Croire qu'un suicidé est forcément une mauvaise personne relève de l'essentialisme psychologique. Ne pas vouloir dormir dans son lit, c'est de la contamination symbolique. Est-il possible que ces croyances nous polluent la tête même lorsque notre vie est en danger ? Selon l'étude de Bering et al., la réponse est peut-être bien que oui. Lorsqu'on demande à des gens de s'imaginer en attente d'une greffe de cœur, ils sont bien plus rétifs à l'accepter s'il provient d'un suicidé que d'une personne victime d'un accident ou d'un homicide. Les chercheurs font cependant remarquer que le cœur n'est pas n'importe quel organe – dans bien des cultures qui y situent le siège de l'âme, il véhicule son propre essentialisme psychologique, le cardiopsychisme. Leurs résultats ont donc toutes les chances d'être moins inquiétants dans un véritable contexte clinique. Sans compter que les suicidés font de toutes façons de très mauvaises fermes à greffons : leurs cadavres sont souvent retrouvés trop tard pour que leurs organes aient encore une quelconque utilité.
À bon macaque bon rat
On le sait, il y a de l'huile de palme partout. On le sait aussi, le palmier à huile ne fait pas que du bien aux écosystèmes des pays tropicaux qui le cultivent, notamment à cause des vilains produits servant à protéger les plantations des ravageurs. Parmi eux, le rat, responsable à lui tout seul de 10% de perte chaque année. Parce qu'il adore boulotter du palmier, le macaque à queue de cochon traîne aussi une sale réputation dans les plantations de Malaisie, mais les recherches d'Anna Holzner et de ses collègues, de l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutionnaire de Leipzig, pourraient la dissiper. Non seulement ces singes représentent une nuisance très marginale pour les palmiers – un clan va s'envoyer seulement 0,56% des fruits cultivés sur son territoire –, mais leur appétence pour les rats la compense très largement. Selon les calculs de Holzer et al., un groupe de macaques peut grignoter jusqu'à 3.000 rats par an, soit une belle réduction de 75% de ces ravageurs, et faire passer les dégâts causés par les rongeurs de 10% à 3%. Le gain équivaut au rendement de 406.000 hectares ou 650.000 dollars sonnants et trébuchants. Une découverte qui n'a pas été sans stupéfier les scientifiques, vu qu'ils pensaient le régime du macaque essentiellement frugivore, avec peut-être quelques incartades carnées vers des lézards ou des petits piafs. L'un dans l'autre, l'étude a tout d'une bonne nouvelle pour les primates, qu'ils soient à queue de cochon, cultivateurs ou militants écologistes : en collaboration avec des ONG et des entreprises huilières, les chercheurs œuvrent désormais à concevoir de plantations durables où les populations de macaques seront préservées et patrouilleront comme raticides à poils. Une stratégie gagnant-gagnant pour la biodiversité comme pour l'agro-industrie.