dimanche 30 mars 2008

DataBank 1 : Decoding Women’s Sexual Intent

J'inaugure aujourd'hui (clap clap merci) la rubrique « DataBank ». Il s'agira essentiellement d'études scientifiques et de livres en libre accès.

Aujourd'hui, une étude de psychologie menée par Coreen Farris, Teresa A. Treat, Richard J. Viken, et Richard M. McFall des Universités d'Indiana et de Yale, tendant à prouver que les hommes, plus que les femmes, ont tendance à mésinterpréter les signaux amoureux de l'autre sexe. Là où il n'y a que geste amical, les hommes y verraient en tendance des invitations à la baise, et inversement.

A consulter ici.





Répétez après moi, après moi, répétez

Comme je le disais précédemment, on n’a pas fini d’entendre le vieux continent se frotter les mains, se taper les cuisses et dire « c’est bien fait » en réaction aux attaques judiciaires dont est victime actuellement le web 2.0. Aujourd’hui, Amaury de Rochegonde, responsable de son état d’une chronique « Médias, grand angle : Tour d’horizon du monde de l’audiovisuel, analyse des résultats d’audience, succès et flops du petit écran, mutations technologiques : décryptage hebdomadaire » sur France Info est heureux de nous donner son avis éclairage sur cette petite affaire.

Pas besoin d’aller chercher très loin, dès le début tout est dit : « La condamnation du site fuzz.fr jeudi dernier par le Tribunal de commerce de Paris peut être vue comme une vraie bonne nouvelle pour les médias. »

Voir ici la « vraie bonne nouvelle » comme le fait que, désormais, les médias, vieux ou jeunes, ne « seront plus tentés d’attirer l’audience sur leur site avec des ragots ». Enfin le retour de la bonne vraie information, bien éthique, bien propre, bien vérifiée selon les codes et les usages de la « responsabilité éditoriale » - bref, vous pouvez recommencer à respirer les amis diplômés des salles et conférences de rédaction, plus question de souffrir « d’une concurrence un peu déloyale des millions de sites ou de blogs qui sont bien sûr moins surveillés, moins attaqués et font de l’audience en propageant rumeurs et commérages. ». Les petits cochons bien gardés, youpi.

Néanmoins, le lecteur lambda avide de leçons à écouter et d’exemples à suivre reste un peu sur sa faim face à la démonstration d’Amaury de Rochegonde, journaliste patenté. En effet, l’un des fonds du problème, à savoir si Eric Dupin est réellement responsable du contenu incriminé d’atteinte à la vie privée, passe rapidement à la trappe. Pas besoin de discuter pour Amaury de Rochegonde : « Le Tribunal de grande instance de Paris a donc tranché : non, ce site ne peut pas s’abriter derrière sa position de simple hébergeur pour s’exonérer de toute responsabilité éditoriale. Oui, il y a bien violation de la vie privée comme il en irait de n’importe quelle publication papier. » La justice a parlé, la justice a raison, alléluia. Que cette condamnation soit absurde, ignorante des processus les plus élémentaires du web participatif et ressemble, comme le fait remarquer l’avocat d’Eric Dupin, pourtant cité par Amaury de Rochegonde, à la condamnation du « kiosquier du coin parce qu’il expose les unes des magazines people au public », on s’en fout. L’important, c’est le symbaule (quoi ? j’entends « bouc-émissaire » ?) : cette condamnation éloigne une « audience pas très citoyenne » des rivages immaculés de la presse responsable, rivages déjà par trop attaqués par ces « dérives » qu’on aimerait bien oublier – ah l’affaire du SMS envoyé à Cécilia Sarkozy ! Si Airy Routier avait su qu’il serait bien plus célèbre en tant qu’épouvantail que journaliste, je ne sais pas s’il aurait usé ses fonds de culotte à l’ESJ de Lille…

En bref, tout le monde dans le droit chemin, les lits au carré, plus la peine de nous chauffer les oreilles avec vos changements de paradigmes et autres excuses à deux balles qui ne veulent rien dire d’autres que : « vous, petits anonymes des réseaux, si vous croyez qu’il suffit d’une souris et d’une connexion ADSL pour arriver à notre niveau d’officiels du relais d’information, vous vous fourrez le doigt dans l’œil, et jusqu’à l’os ».

Pas de bol pour les grandes (par leur portée) démonstrations d’Amaury de Rochegonde, à peu près au même moment où paraît son appel à laver plus blanc que blanc et à oublier les scories de l’Internet, pollueur des informations qui se valent, est relayée à peu près partout, et y compris dans la presse réelle et pas virtuelle, l’information suivante : l’ex-mari d’Ingrid Bétancourt craint qu’elle ne soit déjà morte. Bon évidemment, ce n’est pas de la même teneur que le ragot qui voulait qu’Olivier Martinez recouche avec Kylie Minogue, c’est même bien plus grave, vu que l’information touche à la Sainte Pucelle du temps présent, celle que même not’ président il a dit qu’on s’attaquait à elle, on s’attaquait à la France, inévitablement ça fout les jetons.

Aglagla ?


Illustration : Elisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842), La Vertu irrésolue

samedi 29 mars 2008

L’Etat, c’est pas moi





A l’heure des hostilités anniversaires, Libération publie une intéressante discussion entre Marcela Iacub et Alain Touraine, au sujet de mai 68 et de ses héritages.

Et là, mon cœur a fait boum (encore merci Marcela)

"Pour moi, le mieux qui puisse arriver à quelqu’un, c’est d’être invisible à l’Etat."








1968 : la jeunesse s’empare de la vie privée. 2008 : la victimisation fait la loi.

Recueilli par Béatrice VALLAEYS

QUOTIDIEN : samedi 29 mars 2008

Alain Touraine, quel âge aviez-vous en 68, que faisiez-vous, où étiez-vous ?

Alain Touraine : En 68, j’ai 43 ans. Je suis professeur, puis directeur du département de sociologie à Nanterre. Nanterre a été fondée en 1965 pour créer une université nouvelle contre la Sorbonne. Je suis arrivé l’année suivante dans le même esprit et je n’y suis resté que trois ans, car rapidement, Nanterre a été en pleine décomposition. J’ai donc passé trois ans comme professeur de sociologie à Nanterre. Une position très privilégiée, car j’ai pu mesurer ce qui était en train de se passer. Nous avons eu une première grève en 1967 - une sombre histoire sans intérêt de comptabilité de cours suivis - mais elle m’a préparé à l’agitation. En février 1968, j’ai d’ailleurs publié deux articles dans le Monde disant qu’il se passait quelque chose à Nanterre, ce qui laissait tous mes amis sceptiques.

Quelle était la nature de cette agitation ?

A.T. : Nanterre était un lieu perdu, et pour arriver à la tour C (philosophie, sociologie), il fallait sauter sur des bidons posés dans une mare d’eau. Cet endroit ignoble avait des effets très favorables, car enseignants et étudiants vivaient ensemble du matin au soir. Très souvent, je déjeunais avec Cohn-Bendit, avec qui je m’entendais bien et qui venait suivre mon séminaire à Paris. Nanterre avait aussi des «maisons d’étudiants» pour les internes. C’est ce thème de la vie des jeunes et leurs libertés, notamment sexuelle, qui a tout déclenché.

Ce sont donc de questions de mœurs qu’on discutait à Nanterre ?

A.T. : Des «groupuscules» régnaient sur la Sorbonne: les trotskistes, les maoïstes, tandis que Nanterre était dominé par le groupe du 22 mars : des anarchistes, avec, chez Cohn-Bendit personnellement, un fort contenu anticommuniste. Les thèmes culturels étaient plus visibles à Nanterre. Exemple : Nanterre est occupé le 22 mars, quelques portes et fenêtres sont brisées et la machine universitaire réunit un conseil de discipline pour juger ces jeunes gens. Interdits d’avocats, ils avaient le droit de choisir un professeur. Nous nous sommes retrouvés à trois ou quatre, notamment Paul Ricœur et moi-même (j’avais personnellement à défendre Cohn-Bendit et sa petite bande). Le président interroge les «casseurs» : «Le 22 mars, vous étiez à la faculté ? - Non, dit Cohn-Bendit, je n’étais pas à la faculté. - Où étiez-vous ? - J’étais chez moi - Et que faisiez-vous chez vous à 3 heures de l’après-midi ? - Je faisais l’amour, M. le président, ça ne vous est sûrement jamais arrivé.» Voilà pour le ton.

Marcela Iacub, c’est à vous de vous présenter…

Marcela Iacub : Je suis arrivée en France en 1989. En mai 1968, j’ai exactement 4 ans et je vis en Argentine. L’Amérique latine a connu des mouvements proches de ceux qui se déroulaient en Europe. Mais là-bas, le sort des jeunes qui manifestaient pour les mêmes thèmes que ceux débattus ici en mai 68 fut tragique. C’est vrai que ces révoltes de jeunes ont fini par coïncider avec les coups d’Etat en Amérique latine, et les dictatures militaires les ont réprimées dans le sang alors qu’il n’y avait pas de risques insurrectionnels comme on l’a prétendu : c’était le maccarthysme exporté en Amérique du Sud par les Etats-Unis. Pendant la période de la dictature militaire, être jeune était devenu dangereux. On a retrouvé des charniers de gamins de 13 ans assassinés parce qu’ils avaient organisé une mobilisation afin de payer moins cher un ticket de bus pour aller à l’école. Voilà pourquoi je trouve magnifique cette révolte française sans violence et qui a eu énormément d’effets sur la société.

A.T. :La violence était d’expression et de libération de la parole.

M.I. : Ce n’est pas une violence ça, c’est la liberté.

A.T. : Une liberté sans fin. 68, c’est l’invasion de la sphère politique par la culture et la vie privée. Les étudiants ont un langage très ouvriériste mais il n’y a aucun contact réel avec la classe ouvrière, ce sont deux mondes complètement différents. Même s’il parle politique ou social, c’est un mouvement qui n’est ni fondamentalement politique, ni fondamentalement social.

M.I. :Je crois cependant que, sans le savoir, les protagonistes de Mai 68 réclamaient des changements dans le registre des mœurs qui étaient en fait déjà en préparation. Il y a à cette époque une véritable crise du modèle de la famille, du mariage comme institution dont les politiques publiques sont bien conscientes. Il fallait substituer ce modèle. La liberté sexuelle était le nom que l’on donnait à la sexualité qui devait s’organiser en dehors de l’institution du mariage.

A.T. :Ils avaient quand même un sentiment de grande rupture et d’innovation. On a vécu soudain dans un monde où on n’avait pas mis les pieds avant. La France sort d’une série d’événements majeurs qui donnent tout l’espace au public : les guerres, puis la reconstruction, ensuite les guerres coloniales. On se préoccupe du domaine économique, on reconstruit des usines. Mais des logements, non. Il a fallu quelque huit ans pour se rendre compte qu’il fallait en construire. La guerre d’Algérie s’achève en 1962. Règne Pompidou [ Premier ministre de 1962 à 1968 , ndlr], qui n’est pas spécialement un homme ouvert à la jeunesse. Quand on arrive à ces années-là (1965-1967), tout a été plus ou moins remis sur les rails dans la vie économique, mais rien dans le domaine de la vie privée. L’essentiel de 68, c’est de faire émerger d’abord le concept de jeunesse, c’est-à-dire une catégorie qui se définit par son rapport à la vie privée.

M.I. : Il n’y a pas que les jeunes qui ont une vie privée.

A.T. :Quand je dis jeunesse, il ne s’agit pas d’une catégorie sociale, ni politique. La notion de jeunesse a d’ailleurs donné lieu à des discussions. Pour Bourdieu, par exemple, la jeunesse n’existe pas. La jeunesse bourgeoise, c’est la bourgeoisie jeune. Je ne partage pas cette opinion. Il s’agissait là de donner la priorité à l’expression de soi en tant non pas seulement qu’étudiant mais en tant que jeune. C’est nouveau, la France ayant toujours été en retard du point de vue des représentations de la vie privée.

M.I. : Pas vraiment car elle a été longtemps un pays d’avant-garde dans ce domaine. Après la Révolution de 1789, c’était le seul pays occidental qui avait aboli les crimes liés à l’hérésie comme la sodomie, la zoophilie ou l’inceste. En Angleterre, on pend encore des homosexuels en 1860, le concubinage est interdit en Suisse à cette même époque.

A.T. :Peut-être, mais en Angleterre, les femmes ont le droit de vote après la Première Guerre mondiale, les Françaises attendront 1945. Il est vrai qu’elles avaient une place dans la vie culturelle très importante.

M.I. : Les Anglaises et les Américaines ont eu en effet des droits politiques plus tôt, mais sur le plan des mœurs, la France est jusqu’au début du XXe siècle un pays exemplaire.

A.T. : J’ajouterais que la France est dominée pendant deux cents ans par la lutte entre l’Eglise et l’Etat. La moitié de la population, qui est du côté de l’Etat, est libérale ; l’autre moitié, proche de l’Eglise catholique, très conservatrice. En 68, les étudiants sont majoritairement issus d’une classe moyenne où la proportion des catholiques au sens large du mot est encore élevée. Pourtant, les intellectuels et les militants contre l’Eglise ont donné un ton très libérateur, très revendicatif. Et l’autonomie de la jeunesse, définie par le fait que le culturel commande, c’est quand même Mai 68 qui l’a inventée. Prenez le mouvement surréaliste, Dieu sait que l’homosexualité y est présente, mais pas la jeunesse. Jusqu’en 1962, pendant les guerres coloniales, on ne parle pas de jeunesse, on parle d’insoumission.

En France, la loi Neuwirth date de 1967. La libéralisation de la contraception est nettement antérieure dans plusieurs pays d’Europe...

M.I. : Ce retard pris sur la contraception et l’avortement en France tient à la politique de natalité. A la fin du XIXe siècle, la France commence à se préoccuper de sa population, qui doit être en bonne santé et beaucoup plus nombreuse, pour faire des soldats. Il faut procréer à tout prix, on encourage les femmes célibataires à faire des enfants en leur donnant des moyens juridiques et économiques. La contraception est alors une atteinte, voire une trahison à la patrie. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, même si l’avortement est interdit, on trouvait des petites annonces de «faiseuses d’anges» dans les journaux. Il y avait aussi beaucoup d’infanticides, mais les poursuites étaient rares. Soudain, arrive une campagne folle contre la contraception et l’avortement qui donnera la loi de 1920. D’autres pays ont opté pour des politiques de «sélection», l’idée étant que tout le monde ne devait pas se reproduire. Ces pays-là - en dehors de l’Allemagne nazie - ont validé plus simplement la contraception depuis les années 30. L’un des effets de la première grande crise du mariage napoléonien, au début du XXe siècle, a été de reconnaître à l’enfant naturel une place, certes inférieure à celle de l’enfant légitime, pourvu que la France compte plus de citoyens. Néanmoins, les stigmates sociaux qui accompagnaient les enfants naturels ont fait que leur nombre est resté bas et relativement constant du début du XIXe siècle jusqu’aux années 70. Depuis, ce nombre a explosé : le monde privé n’est plus tenu par le mariage.

A.T. : Il y a une perte de contrôle sur les comportements.

M.I. : Je pense qu’il s’agit plutôt d’une volonté de réorganiser la société à partir d’autres fondements que le mariage. La sphère privée s’organisera désormais autour de la sexualité. Le pivot des nouvelles familles sera la femme fertile qui décide de faire naître, ou pas. Bref, la mère désirante.

A.T. : L’argument de la libération de la contraception en 1967 était qu’elle limiterait l’avortement (ce qui ne s’est d’ailleurs pas produit). Bref, les légitimations sont d’un ordre social. En 68, ce n’est plus ainsi qu’on voit les choses, et la grande affaire, c’est l’autonomisation d’un secteur - celui des mœurs - qui n’est plus commandé par l’Etat.

M.I. : Je pense au contraire que jamais la sexualité n’a été autant organisée et surveillée par l’Etat. Après les réformes des années 70, l’Etat a été partout présent dans la vie privée. C’est un peu le paradoxe de 68.

Les lois qui suivent rapidement la révolte de Mai sont tout de même de bonnes lois…

M.I. : Bien sûr. C’est une bonne chose qu’en 1970, une loi autorise l’autorité parentale conjointe ; qu’en 1972 on reconnaisse l’égalité des enfants légitimes et naturels, ce qui fait définitivement exploser le mariage. Après vient la majorité à 18 ans en 1974, le divorce par consentement mutuel en 1975, l’avortement cette même année. Il est incontestable que les années 70 ont fondé un nouvel ordre sexuel et familial. Mais les choses se gâtent à partir de 1975, quand apparaissent des groupes gauchistes qui réclament de la répression, luttent pour de la prison. Je parle des groupes féministes sur la question du viol. A la fin du XIXe siècle, les juges considéraient que les peines contre les violeurs étaient trop dures. Ils appliquaient du coup une infraction mineure, l’outrage public à la pudeur, et des peines moins lourdes. Mais cette tendance commence à s’inverser à la fin des années 40. Après, c’est l’explosion. Le combat des féministes, à partir de 1976, contre le viol s’inscrit dans cette politique judiciaire antérieure, mais il est particulièrement surprenant de la part d’une avant-garde. Et c’est un grand tournant : la prison est censée nous sauver du mal mâle. Un tournant d’autant plus curieux qu’au même moment, d’autres parlent d’abolir la prison. De là aussi sont nées des dérives du genre «toute relation sexuelle est un viol». Pour moi, c’est la fin de 68. Penser la prison comme un salut, c’est plutôt stalinien.

A.T. :Ce que vous dites n’appartient pas aux revendications culturelles de 68. A partir de 1975, on entre en période libérale ; l’économie administrée dans tous les pays du monde recule, et en moins de dix ans, le monde devient libéral. Or traditionnellement, ceux qui sont libéraux économiquement sont répressifs culturellement. C’est le début d’un processus répressif qui à l’heure actuelle est extraordinaire. Entre le milieu des années 70 et aujourd’hui, nous avons assisté à une régression énorme. Ce qui se discute sur la prison à vie des délinquants sexuels susceptibles de récidive était impensable il y a trente ans.

Chaque loi régressive adoptée, même contestée, renforce le champ liberticide.

M.I. :C’est évidemment ce qui se passe depuis plus de trente ans en France. Mais reprenons le modèle de la famille napoléonienne. Je n’en suis pas une apologue, mais à l’époque, l’Etat avait délégué au privé le soin de régler les mœurs (au sein de la famille principalement). Du même coup, il ne s’immiscait pas dans les relations entre les individus. La sexualité a donné à l’Etat un magnifique moyen de concevoir le mal infini que chaque individu peut faire à l’autre. L’idée est aujourd’hui ancrée que dans nos relations interindividuelles, les individus sont capables de se produire des maux atroces, et que l’Etat doit se poser en tiers arbitre. Ainsi légitime-t-il une répression pénale de plus en plus forte. Au lieu de nous méfier de l’Etat, nous nous méfions de nos proches et de nos moins proches et demandons à l’Etat de nous protéger.

En devenant le moteur de la révolte, la sexualité aurait donc ouvert la voie aux femmes qui auraient réclamé de l’Etat des lois répressives pour les protéger…

M.I. : C’est vrai aujourd’hui pour toute la population. Désormais, tous les sujets sont censés être vulnérables. Et toute la démagogie pénale actuelle est celle de la victimisation.

A.T. :Nous avons en effet assisté à une transformation du féminisme en non-féminisme, c’est-à-dire en dénonciation de la femme victime. La femme n’est plus actrice comme elle l’était encore depuis le début du siècle. Aujourd’hui, on ne croit plus à l’action. Croire à l’action, c’était croire à l’action politique contre les monarques et surtout croire au mouvement ouvrier. Or le mouvement ouvrier disparaît à partir des années 70 et de ce moment-là, en l’absence de mouvements visibles, une définition négative va dominer la vie intellectuelle - Bourdieu étant le cas extrême : «Je définis quelqu’un par ce qu’il subit.» Mais ce quelqu’un est supposé incapable de réagir parce qu’il est pris dans des systèmes de manipulation, de justification idéologique. Les femmes ne sont pas les seules emportées par cette idée. 68 est tout à fait autre chose. Et après cette révolte, on assiste en effet à un recul qui n’intervient pas seulement du côté de l’Etat, il existe aussi, et surtout, dans la société française tout entière. On peut dire que finalement, les idées de 68 ne prennent pas. Certes, les mœurs changent, mais ce qui se passe en 68 n’est pas capable de s’affirmer. Prenez l’homosexualité : on reste au stade de la tolérance. La visibilité de l’homosexualité est extrêmement faible en France.

M.I. : Pour moi, le mieux qui puisse arriver à quelqu’un, c’est d’être invisible à l’Etat.

A.T. :Ce n’est pas seulement le fait que l’Etat s’empare des choses, c’est aussi que les acteurs sociaux ont disparu.

Pourquoi un tel renoncement ?

A.T. : Les thèmes politiques n’existent plus guère, on n’est menacé ni de fascisme, ni de monarchie, ni de révolution. Les mouvements sociaux qui se retrouvaient sur le thème de la culture ouvrière et de l’anticapitalisme disparaissent. Du coup, tout le monde est d’accord pour dire que ce qui se passe est l’effet d’une domination. On n’est donc pas responsable.

M.I. : Je persiste à penser que les réformes sur la vie privée ont conduit les gens à penser que l’Etat était du côté du bien. Jusqu’alors, personne ne croyait que les juges étaient les mieux placés pour organiser la société. Or, dans les années 70, commencent à disparaître d’autres normativités sociales et on va vers le tout juridique.

A.T. : Au risque de me répéter, je crois qu’avec la fin du mouvement ouvrier, la fin de l’existence de l’Union soviétique et avec la montée de l’Amérique, la scène sociale française se vide. A ce moment-là, il y a de la violence, et s’il y a de la violence, il y a intervention de l’Etat au nom de l’ordre. Et les gens demandent à être protégés.

M.I. : Pas seulement protégés. L’idée qu’il puisse exister des formes de vie multiples dans la même société sans que l’Etat ne les organise directement est complètement morte. A tel point que l’Etat prend de plus en plus une sorte de pouvoir spirituel. Quand on crie à la perte des repères, c’est que l’Etat veut imposer les siens.

Le premier, Luc Ferry s’en est pris à Mai 68, responsable, selon lui, d’un individualisme stérile. Du coup, l’individu fragilisé se serait tourné vers l’Etat faute de groupe de soutien .

A.T. : Je pense que l’individualisme peut être la décomposition du social, mais qu’il est aussi autre chose. L’individualisme peut être par exemple communautaire, au sens d’individus qui partagent les mêmes opinions.

M.I. : L’Etat se plaint qu’il n’y a plus de repères alors qu’il a cassé toutes les instances intermédiaires susceptibles de les créer. Ces instances produisaient des normes disciplinaires, morales, de politesse. Et elles en étaient aussi juges. Aujourd’hui, la confusion est de plus en plus forte entre le droit et la morale. Les romanciers du XIXe siècle, et jusqu’aux années 30 - Balzac est sans doute le plus intéressant - n’avaient pas cessé de mettre en scène ces distinctions entre le droit et la morale. Le droit apparaissant comme quelque chose d’extérieur aux individus et comme une machine arbitraire. La société devait faire avec. Aujourd’hui, le droit apparaît comme une instance salvatrice.

A.T. :L’une des caractéristiques françaises, en effet, est que l’Etat a voulu à la fois être la loi et la morale. L’école publique est une école morale. Les déclarations, les textes montrent qu’on a remplacé la religion par une religion laïque, de progrès. En 68, l’idée est née qu’il pouvait y avoir une morale à partir des conduites personnelles, alors même que l’Etat de Jules Ferry était devenu purement répressif : si l’Etat donne de la liberté, c’est pour combattre le monopole catholique. Le contrôle moral jusqu’avant 68 est exercé par l’Eglise catholique. L’Etat a donc eu le rôle de lutter contre.

M.I. : En fait, la séparation de la religion du droit est nettement plus ancienne. A partir de la Révolution, le mariage n’est plus obligatoirement religieux, la religion n’a pas une importance fondamentale dans les relations des parents vis-à-vis des enfants. L’émancipation du droit de la religion commence à partir de la Révolution. Même la répression de la contraception et de l’avortement est davantage liée aux politiques natalistes que religieuses.

Pensez-vous qu’on peut parler d’un héritage de 68 en matière de mœurs ? Cet héritage est-il positif ou négatif ?

A.T. : 68 est quelque chose d’extrêmement neuf, que le système politique et même culturel n’ont pas été prêts à recevoir. On l’accueille en même temps qu’on le rejette. Si on parle autant aujourd’hui de 68, c’est parce que cet événement recommence à avoir un sens. La période dite libérale mise en place en 1970 et 1975 en Europe montre des signes d’épuisement. On recommence donc à se demander sur quoi on peut faire vivre notre société. On ne peut pas vivre sans grand projet. Et le projet consiste à recoudre ce qui a été décousu et déchiré.

M.I. : Mai 68 a-t-il été nécessaire dans l’histoire ? Je dirais que l’intérêt de 68 réside dans le fait que c’était sans doute la fin d’un monde des mœurs, celui de la famille, du mariage, de la pudeur, un monde qui avait aussi sa poésie, même s’il était très violent. Comme dans toute fin de monde, et comme toujours dans des processus révolutionnaires, il y a beaucoup de possibles qui circulent dans les pensées et les projets. Mais les possibles les plus intéressants ont été ensevelis, comme ceux qui pariaient sur la liberté personnelle, et donc sur la créativité et l’imagination, dans la sphère privée. Ce sont les possibles les moins intéressants, comme l’hypothèse du citoyen faible, qui ont réussi. Sur ce plan de la vie privée, je crois que cette révolution a été hélas bien ratée. Cela dit, on peut intervenir sur cet état de fait. Le visage qu’a pris cette modernité n’est heureusement pas inéluctable.

A.T. : Je crois qu’on doit aujourd’hui porter un jugement très positif sur 68, parce qu’il était prémonitoire. 68 était un mouvement d’anticipation, d’annonce de grands changements culturels.



http://www.liberation.fr/transversales/weekend/318214.FR.php

© Libération

jeudi 27 mars 2008

Mort du dernier poilu

Ci-dessous un extrait des Netocrates, concernant la protection du copyright, et vu par Bard et Söderqvist comme un cas d'école de ces résistances engendrées par le passage de paradigme du capitalisme vers l'informationalisme. Cette défense incarne aussi, pour les Suédois, l'un de ces pactes secrets entre netocrates « social-traitres » et bourgeoisie capitaliste. Remplacez le terme de « copyright » par « limites de la liberté d'expression » et vous aurez peut-être l'illumination sur ce qui se passe en ce moment entre le web 2.0 et les institutions de l'Etat-nation.

De même que l’aristocratie fut à l’origine des plus importants préalables à l’expansion légale du capitalisme (la protection par l’État des fortunes privées), la bourgeoisie de plus en plus marginalisée va utiliser son influence sur la législation parlementaire et la police pour légitimer et protéger les éléments les plus importants de l’édification du pouvoir netocratique : les brevets et les copyrights. Les prémices du succès de la nouvelle classe dominante sont ainsi souvent offertes par l’ancienne. La moralité de l’âge nouveau se crée autour de ce passage de relais historique. De la même manière que l’aristocratie et la bourgeoisie ont enserré l’inviolabilité de la propriété privée dans d’anciennes lois, la bourgeoisie et la netocratie s’unissent aujourd’hui pour affirmer que le copyright est une défense fondamentale de la civilisation. Une « science » abondante est produite pour prouver ses bienfaits sur l’humanité dans son ensemble. Avec cette stratégie, il est clair que n’importe quelle forme de pouvoir non soumise à copyright est « immorale », ce que le monopole légal de la bourgeoisie interprétera comme « criminel ».

Aujourd’hui, le site d'Eric Dupin a été condamné parce qu'il avait relayé (FYI, le site Fuzz est un digg-like où les informations arrivent automatiquement via flux RSS) une info « attentant à la vie privée » de l' « acteur » Olivier Martinez. Jeudi noir pour le web français, selon les propres mots d'Eric Dupin, je verrais pour ma part cette condamnation comme l'annonce, ou pas, d'un changement imminent d'attitude d'une certaine blogosphère. Jusque là assez pacifiste, voire molle, cette « communauté » des bloggers, en réaction, se mettra-t-elle à la résistance, à l'activisme, voire au terrorisme ? Ou ces notions sont-elles définitivement dépassées face aux processus d'adaptation et de diversification qui ont cours sur l'Internet ?


mardi 25 mars 2008

Les bâtards

C'est la gueeeeeeeeerre !!!

Depuis quelques semaines, le web 2.0 semble être dans le pif de certains installés de la vraie vie. Ca a commencé avec les affaires « Note2be » , « lespipoles » et ça continue depuis la semaine dernière avec « Fuzz » . Pour faire court sur ce point, je trouve déplorable l’habitude que certains ont de transférer les agoras dans les prétoires (la formule n’est pas de moi mais d’Alain Finkielkraut qui, une fois n’est pas coutume, ne dit pas que des conneries). Outre que cela cache souvent de sombres histoires de gros sous, se fonde sur des notions hyper floues comme le « respect de la vie privée », la juridiciarisation à outrance de notre beau pays est à ce point handicapante pour la pensée qu’elle en devient calcifiante. Si, avant de penser, avant de même de réfléchir à la façon d’exprimer le plus clairement et précisément possible ce qu’on a derrière le crâne (la preuve que ce n’est pas si facile), il faut en plus s’imaginer qu’une horde de mal-embouchés viendra se saisir de ce que vous dites pour vous réclamer des dommages et intérêts ; je dis stop. Que les atteints dans leur honneur aillent se faire soigner en relisant des manuels de sorcellerie, la dinguerie qui veut qu’un mot équivaille à un acte n’aura pas ma voix - ah ah.

Ce n’est pas tant donc sur les limites de la liberté d’expression que je veux axer mon billet du jour mais sur cette récupération qui commence à pointer le bout de son nez autour de ces sinistres (pour ne pas dire absconses) affaires - récupération dont je verrais un parangon dans cet article.

AgoraVox donc, pour ceux qui ne le savent pas encore, fait partie de ces sites d’informations autoproclamés médias citoyens, qui, à l’instar de Rue89, Mediapart et autres, n’ont rien trouvé de mieux à faire que de recréer sur le web ce que le web, ou tout du moins ses pionniers californiens, avait en horreur : l’ordre, la verticalité et la modération. Ce paradoxe chaotique d’Internet, ce tuyau le plus anarchique qu'il ait été donné à une armée de créer, le fait que n’importe qui puisse, sans diplômes, sans nom et sans argent s’exposer et être immédiatement visible, y compris à l’autre bout de la planète et dont le seul moteur de croissance est celui de la réputation (j’aime/j’aime pas), évidemment, c’était fait pour gêner ceux qui, depuis leur plus jeune âge, ont été baignés dans l’idéologie du : « reste assis et écoute ce qu’on te dit, quand tu seras plus grand, ce sera ton tour de taper sur les doigts ». En bref ceux qui, pour vivre ou pour penser, ont besoin de repères, de limites, de piquets à planter et de bordures à tailler – sinon c'est n'importe quoi.

N'importe quoi donc, que de dire des choses sans en vérifier les sources, d'exprimer ce que l'on pense sans réfléchir auparavant pour savoir si c'est bien pensable, digne, honnête et droit. N'importe quoi, en effet, de ne pas demander la permission au clercs, évidemment toujours bien intentionnés, pétris de déontologie à en faire déborder les coupes, d'humanisme plein les poches et de civisme plein les mirettes. N'importe quoi de n'avoir aucun projet – entendre ici aucun projet qui ne concerne le collectif dans son ensemble, dans son homogénéité, dans sa démocratie – terme bien pratique pour dire l'écrasement des minorités par des majorités.

Ce que désire en particulier AgoraVox, c'est que :

ce procès qui probablement n’ira pas plus loin que le buzz qu’il provoque [incite] les tenants du web 2.0 à réfléchir sur leurs pratiques et surtout arrêter de nous gonfler avec la pseudo liberté d’expression et avec cette tautologie qui voudrait que « le net c’est pas pareil »

Évidemment, on n'en attendait pas moins des tenants de la parole adoubée qu'ils se « félicitent » de voir le web 2.0 (qui n'a même pas de définition, encore une preuve qu'il est louche) en proie avec la justice, parce qu'au fond « ça va leur apprendre quelque chose » - et ils tourneront désormais sept fois leur langue dans leur bouche.

De la même manière que les industriels à papa, les vendeurs de clous et de vis, se sont frotté la panse lors de l'effondrement, en 2000, de la bulle Internet (voir cette vidéo), une certaine frange de ces fameux médias citoyens sabre le champagne en nous refaisant le coup du Comité de Salut Public :

De même qu’on ne peut pas tout dire, on ne peut pas davantage relayer n’importe quoi. Qu’on propage une information non vérifiée (c’est-à-dire une rumeur) est grave, qu’on la transmette juste pour faire du buzz et, au bout du compte, changer ses clics en monnaie sonnant et trébuchante (car c’est de cela qu’il s’agit) l’est tout autant.

Grave, le mot est lâché. Il y donc des choses graves et d'autres pas. Dire que tel people couche avec tel autre ou laisser les élèves dire ce qu'ils pensent de leurs profs, ça c'est grave, voir son site fermé du jour au lendemain, ce n'est pas grave, c'est instructif. Toute la subtilité de la punition en somme, résumée dans cette phrase de conclusion :

Il vaudrait mieux pour Eric Dupin que la décision de justice lui soit favorable, évidemment, mais aussi qu’elle lui soit instructive. Car celle-ci n’est qu’un avertissement. Et il s’adresse à l’ensemble du Web 2.0

Aglagla maîtresse !!!

N.B : un blog à suivre


Si tout le monde faisait comme ça...

Ça m'est arrivé un jour dans les toilettes de la Bibliothèque François Mitterrand. Dans l'encoignure d'une cabine ouverte, je me sèche les mains avec le papier originellement destiné aux fesses. Une femme entre, et de cet air offusqué qui m'a fait croire un instant qu'elle m'avait surprise là, à déchiqueter à pleine dents le cadavre d'un enfant, me dit :

« si tout le monde faisait comme ça, il ne resterait plus de papier pour ceux qui souhaitent s'essuyer ce pour quoi il a été conçu »

Je ne sais pas, c'était peut-être le fait de me trouver dans ce temple du savoir dont les moquettes prennent l'eau quand il pleut, j'ai eu, la chose est assez rare pour être soulignée, la répartie facile et les mots volubiles me sont venus à la bouche :

« Madame, regardez autour de vous, les gens ne font pas tous les mêmes choses, même quand on leur en donne la possibilité. Certains s'essuient les mains avec le papier des fesses, d'autres attendent sous le souffle chaud du séchoir, d'autres encore sortent les mains mouillées, et d'autres ne se les lavent pas du tout »

La femme a fait « pff » et s'est enfermée dans sa cabine - du reste, moi, j'étais assez fière de mon petit effet, resté jusqu'à ce jour sans spectateur aucun.

Le fait est que bon nombre de morales, de législations, de structures limitant les faits et gestes de l'humanité trouvent leur justification dans ce préjugé : si tout le monde faisait pareil, et bien, ça serait [au choix] la chienlit, le chaos, la fin du monde, un bordel sans nom, n'importe quoi... A commencer par ce bon vieil impératif catégorique, de ce non moins bon vieux (et mort) Emmanuel Kant, hérité de cette bonne vieille maxime judéo-chrétienne pour laquelle l'instinct est mauvais, et la modération, bonne. (Je ne vais pas vous faire l'affront de résumer tout l'apport que représente l'approche nietzschéo-darwinienne sur ces questions de morale, car il paraît que j'écris une thèse sur ce sujet...)

Le fait est, malheureusement, que ces morales, législations et structures limitant les faits et gestes de l'humanité se trompent. 2 à 4 millions d'années d'évolution ont rendu le genre Homo diversifié, pluralisé, sans aucune normalité autre que statistique, et si on lui donne la chance d'évoluer encore un peu, Homo se diversifiera, se pluralisera toujours plus et fera éclater les normes comme les statistiques. A moins que 2 à 4 millions d'années de morale n'homogénéisent pour de bon la chose, et que tout le monde se mette à faire comme ça.



lundi 24 mars 2008

Le nombril du monde

Elle aurait pu en faire une histoire subversive, séditieuse, scandaleuse. Elle en a fait un monument quand elle choisit d’écrire, une heure après le premier départ de son amant, sur les cahiers jaunes qu’il lui offre. Elle, c’est Toni Bentley, ex-danseuse du George Balanchine’s New York City Ballet. Lui, c’est A-Man, l’homme avec un grand H. Il la « foutra en cul » 298 fois en trois ans, elle en tirera le sublime Ma reddition.

On peut toujours se plaindre des quatrièmes de couverture. Bien sûr, un livre, c’est fait pour être lu, et les quatrièmes de couverture ne donnent que des indications, des résumés sommaires pour teaser le lecteur et anticiper sa lecture. Bien trop souvent, c’est une attachée de presse incompétente qui s’en occupe, à l’arrache, juste avant la mise sous presse et qui entraîne avec ses raccourcis et ses erreurs un déferlement de critiques approximatives, de quiproquos, d’articles pressés de journalistes n’ayant pas le temps et qui se satisfont donc des quatrièmes de couverture ou des dossiers de presse... Ma reddition (The Surrender en v.o.) en main, on s’attend ainsi au conte des joies du « holy fuck », on s’attend à des pénétrations religieuses, on s’attend à des révélations, à des extases mystiques Alors on pousse des « pff… », on se dit que c’est tellement philistin de croire qu’on rencontre Dieu en se faisant enculer ; on pense à D.H. Lawrence : « autrefois l’homme avait l’esprit trop faible ou trop cru pour considérer son corps et ses fonctions corporelles sans s’embarrasser de mille réactions physiques dont il n’était pas le maître », etc. Bref, tout ce que la lecture de Ma reddition balaye en un instant.

Lecture profonde

Car si le livre de Toni Bentley appelle une lecture, c’en est une vraie, profonde, une lecture où l’on découvre, dès le début, l’aveu capital : « J’ai assumé une identité difficile : celle de l’athée qui aspire à croire - mais qui en est incapable. Un doute prédestiné me laissait toujours à la recherche d’un Dieu qui ne pouvait exister. Je ne suis pas du tout religieuse, précise-t-elle de vive voix, je ne crois à aucun dieu ni n’adhère à aucun culte en particulier. Mais je m’intéresse à la spiritualité, c’est-à-dire à la force de l’esprit. A la manière dont le sexe en particulier permet de sortir de soi, tout en restant soi, mais il n’y a pas, à proprement parler, d’intervention divine. Le sexe anal ne m’a pas fait rencontrer Dieu, mais il m’a montré comment je pouvais être mon propre Dieu, comment mon partenaire pouvait me faire accéder à cela ». Parler de lecture profonde pour un livre sur la sodomie, on appréciera le rapprochement. Ma reddition est-il, au fond, juste un livre sur la sodomie, tant il convoque des images et déchaîne des émotions complexes et contradictoires ? Faire passer une telle émotion est aussi difficile que de décrire avec justesse l’orgasme anal, autre grand absent de Ma reddition. « J’aurais pu parler de la contraction anarchique des muscles, explique Toni Bentley, mais je n’aurais pas dit grand-chose. Il m’a paru plus important de voir comment la jouissance, féminine en particulier, se joue de motifs complexes, de contextes, d’ambiances, de rituels aussi, même si je ne parle pas, précisément, de cette jouissance. Mais comment l’écrire ? Tous ceux et celles qui l’ont vécu le savent bien : il s’agit bien évidemment d’amour, de l’amour pour un homme à un moment de ma vie, un moment qui n’existe plus que dans ce livre mais dont j’avais besoin de parler, d’en faire témoignage, de fixer ».

Penche-toi

L’histoire d’amour racontée, fixée, écrite, et pas seulement livrée au flou des souvenirs, Toni Bentley en a ressenti immédiatement le besoin : « Une heure après la première fois où il m’a initiée au sexe anal, puisqu’il fut le premier, j’ai eu besoin d’écrire ce qui s’était passé. J’ai donc écrit à chaque fois, 298 fois, en trois ans, j’ai numéroté et puis j’ai attendu un ou deux ans avant d’en parler, de montrer ce que j’avais écrit à quelqu’un. Car au départ, il ne s’agissait pas de témoigner de quoique ce soit, c’était un besoin, il ne s’agissait pas de courage mais de force, il fallait que je l’écrive tellement ce qui m’était arrivé était surprenant, incompréhensible, presque irréel. Maintenant que c’est devenu un livre, je reçois beaucoup de lettres de personnes qui me remercient comme si j’étais leur porte-parole. Evidemment, c’est mieux de savoir qu’on n’est pas un monstre parce qu’on aime le sexe anal, qu’il y a d’autres personnes comme soi - personne n’aime être seul. Mais au départ, je ne l’ai pas fait pour ça, je l’ai fait pour moi et c’était irrépressible ». L’histoire d’amour de Toni pour A-Man et la sodomie se lie bien avant leur rencontre, à cinq ans, avec le déménagement d’une famille athée dans la Bible Belt, où tout le monde croit en un Dieu aussi facilement que l’on respire : « Là-bas, tout le monde semblait connaître Dieu personnellement, sauf moi. J’ai interrogé mon père. Il avait raison sur tout. "Non, Dieu n’existe pas, m’a-t-il expliqué. Il y a des gens qui en ont besoin. Nous, nous n’en avons pas besoin" ». « Mais, moi, si. », avoue-t-elle ensuite, comme pour justifier la quête qui s’achèvera avec les enculades d’A-man « Je suis, voyez-vous, une femme qui a cherché la reddition toute sa vie - pour trouver quelque chose, quelqu’un à qui je pourrais soumettre mon ego, ma volonté, ma misérable condition mortelle. J’ai tâté de différentes religions et de différents hommes. J’ai même essayé un homme d’Eglise. Et puis il m’a trouvée, moi, l’agnostique qui mendiait ma soumission. "Penche-toi", disait-il, doucement, fermement ».

L’anus ne ment pas

Fille du baby-boom et de sa (prétendue) révolution sexuelle, Toni Bentley a aussi été élevée dans les fracas de l’émancipation féminine et de la lutte pour l’égalité des droits homme-femme. Lutte qui, selon elle, n’a pas à s’immiscer dans les relations sexuelles : « Le sexe n’a rien de politique. C’est une histoire de sensations, de chair, de volupté, de jouissance. C’est une affaire personnelle, il n’y a pas à lutter. C’est pour cela que la sodomie est intéressante, si on l’intellectualise, puisqu’elle érige en principe l’échec de l’égalitarisme, ce que j’appelle dans le livre la démocratie sentimentale, ou quelque chose dans le genre. C’est aussi évidemment de l’humour quand je dis qu’un vagin ment là où l’anus n’est que vérité, même s’il est vrai qu’un vagin peut plus facilement être bafoué, trompé, lésé, puisqu’il est le lieu de la copulation sentimentale et reproductive, mécanique et automatique. Se faire baiser le cul demande une soumission totale - la reddition des idéaux féministes et égalitaristes - autant qu’une attention de tous les instants de la part de l’homme. Vous êtes à genoux, la tête dans l’oreiller et vous prenez, vous pouvez aussi bêler comme une vieille bique mais il n’y a pas de domination, pas politique en tout cas. Voir du féminisme ou de l’anti-féminisme, ou n’importe quoi d’extra-individuel dans le sexe, c’est hors sujet ». 298 fois donc, juste le téléphone qui annonce sa venue, des blocs de papier jaune pour seul cadeau, une histoire qui n’a « rien de domestique » mais qui se termine néanmoins pour des motifs très ordinaires : la jalousie et la rivalité d’une autre femme. Toni Bentley, qui ne cache rien de la douleur que lui a procurée cette rupture, intervenant alors que la relation avec A-man est « encore volcanique et belle comme une œuvre d’art », minimise a posteriori sa brutalité : « Je pense aujourd’hui que s’il n’y avait pas eu l’autre femme, la jalousie, les manifestations de lâcheté d’un homme que je croyais supérieur à tout, mon histoire aurait dû tout de même se terminer. Elle a été ce que j’étais à un moment de ma vie mais ce moment est derrière moi. Ce livre est un sanctuaire, un peu comme la boîte où j’ai gardé tous les préservatifs, les poils pubiens, etc. Cette histoire m’a permis de devenir celle que je suis mais je suis désormais quelqu’un d’autre et je ne pourrais plus vivre aujourd’hui une histoire comme celle-là. Cela ne me conviendrait pas ».

Ma Reddition, de Toni Bentley
(La Musardine – coll. « Lectures amoureuses »)


***

Une fois n'est pas coutume, je "recycle" ici un "vieil" article paru dans Chronic'art. Le fait est que Ma Reddition reste un livre sublime et ma rencontre avec Toni Bentley, de celles qui changent la vie.


dimanche 23 mars 2008

Fracture numérique

Je reçois hier un courrier, avec une enveloppe, une feuille dedans et un timbre dessus, de la part du service de presse de Gallimard, m'annonçant que l'ouvrage que j'ai demandé n'est plus disponible pour les journalistes, le tout dans une typographie que je n'avais plus vue depuis que les papiers d'imprimante n'ont plus de trous sur les bords.

Si j'étais nostalgique, cela pourrait m'émouvoir.

Eternalisme attalien



Dans la typologie que proposent Alexander Bard et Jan Söderqvist, il y a l'éternaliste. Celui qui surplombe, qui analyse, l'équivalent métaphorique du philosophe des temps précédents. Jacques Attali est de ceux-là ; ici dans l'extrait d'un plus qu'excellent documentaire dont je commenterai le reste en ce lieu, bientôt.


A noter le succulent :

Trois quarts des patrons du Cac 40 ne répondent pas directement à leurs emails, pareil pour les parlementaires. Soit-disant parce qu'ils sont débordés, mais en réalité, c'est parce qu'ils ne savent pas s'en servir ou parce que cela leur semble indigne de leur statut social.

samedi 22 mars 2008

J'aurais voulu l'avoir dit

Mais Clément Rosset l'a fait avant moi :

La morale ce n’est rien ; c’est une vision aberrante du réel.




Cynique ta mère

Pour ceux qui ne le savent pas encore, sachez je suis extrêmement sceptique sur l'initiative Mediapart. Ce qui veut dire que, dans mes bons jours, je pense que cela n'apporte rien à rien, ni à Internet ni au journalisme (pour peu qu'on puisse lui apporter quelque chose à celui-là – ah ah), que c'est là un moyen qu'ont trouvé des vieux de la vieille de se refaire une santé et de coller des rustines sur un système qui prend l'eau. Dans mes mauvais (qui sont rares, je rassure un éventuel lecteur sur la violence dont mon légendaire sang-froid pourrait être la victime), j'espère que cela va vite se casser la gueule, que l'on va rapidement arrêter d'en parler et qu'à défaut de crever, le site sera tenu à bout de bras par les mêmes croulants abonnés au Canard Enchaîné et Charlie Hebdo et qui disent d'un air suspicieux (mais informé) « Mmmoui, les OGM, il faut s'en méfier, et le réchauffement climatique, il faut faire quelque chose contre » ; qu'en bref : much ado about nothing.

Évidemment, comme les épicières qui tricotent sur la place de Grève, j'aime bien assister aux enterrements, par curiosité malsaine, et j'adore ralentir sur l'autoroute lorsque je croise un accident – pour résumer, je me rends régulièrement sur le site de Mediapart. Et on ne sait jamais, un miracle est si vite arrivé.

Aujourd'hui, ceci : Un papier interview vidéo d'Antoine Perraud, autour du dernier roman de Stéphane Osmont, L'idéologie. Je ne dirais rien sur le livre, je ne l'ai pas lu, si jamais je le fais, peut-être, mais là, je vais me contenter de l'article.

La partie écrite joue à fond le registre du « mais que veut nous dire au fond cet auteur ? Ce qu'il met dans la bouche et la tête de son personnage, le pense-t-il vraiment, en vrai ? Retour tout de suite, avec le principal intéressé... » et n'aurait absolument aucun intérêt si on n'y décelait la doxa Mediapart dans ces lignes :

Crachant sur les journalistes citoyens et autre « peuple reporter », Evariste Kolawski [personnage d'Osmont, ndlr] pollue de son cynisme envahissant le cyberespace en concrétisant à sa façon le dogme du Web coopératif : « Les connaissances d'une communauté interactive contiennent davantage de vérité que les certitudes d'un expert. Mort aux journalistes, aux clercs, aux élites en général. Vive les anonymes, les novices et pourquoi pas les cancres s'ils se soumettent au débat collectif. » Cette façon de pervertir la transparence démocratique au gré des frétillements d'un site fangeux [référence au site du personnage dans le roman, ndlr] ne pouvait qu'interpeller, aux antipodes : Mediapart !

Evidemment, dire de telles choses, c'est forcément cynique quand on a comme intention de faire croire au peuple que des individus qui ont échoué dans la presse « traditionnelle » (voir à ce sujet cet excellent article – et drôle, cela ne gâche rien) pourront se refaire une virginité sur Internet, même si elles n'y connaissent rien, qu'elles découvrent la chose comme une poule découvrirait un couteau (oui, je me répète) et qui n'ont donc qu'une intention : y faire leur nid. Mediapart, évidemment, les anonymes [dont on ne connaît pas le nom, ndlr], les novices [qui n'ont pas été adoubés par les bonnes personnes, ndlr], les cancres [ceux qui ne sont pas diplômés des écoles de journalisme, qui n'ont pas la carte du Parti, le sceau royal, la marque de crédibilité que tout le monde, c'est-à-dire le milieu, reconnaît, etc., ndlr], ça les dérange, tant ça remet en question l'utilité – si ce n'est l'intérêt - de leur existence, que ça interroge la réalité des codes et des repères qu'ils croyaient immuables, pour ne pas dire vrais...

Certes, mais qu'en pense (car la question a son importance), le « fameux » Stéphane Osmont ? Dans la partie vidéo, ce dernier, visiblement – il se pourrait bien que je me trompe – prend le contre-pied de son personnage. Selon l'inénarrable antienne du « aujourd'hui, ce n'est plus comme hier », Stéphane Osmont se demande : « avec Internet, tout le monde a accès à des images, à de la musique, mais est-ce que pour autant Internet n'abolit pas définitivement la capacité à comprendre le monde, c'est à dire à savoir d'où nous venons, ce que nous faisons ensemble, et ce vers quoi nous allons ? » Un peu plus loin, on pourrait presque croire qu'il se « plaint » de la disparition des « intellectuels qui mettent un peu d'ordre dans le chaos du monde ». Le tout mâtiné d'un « air du temps » dont on peine à deviner à quoi il fait référence : après tout cet « air du temps » n'est-il pas le produit des clercs, et autres « faiseurs de compréhension du monde » dont Osmont note (pour ne pas dire déplore) la disparition ?

Reste à savoir si "l'ordre" et "la capacité à comprendre le monde" existent réellement, si les poinçonneurs et les pompistes ont bien fait de disparaître, et si un moineau plongé dans un bocal peut bien vite développer des branchies. Amis d'un passé qui n'existe plus et d'un présent qui n'est pas encore là (ou presque), restez à l'écoute !


samedi 15 mars 2008

Ya pas que le cul dans la vie !

Il faudra qu’on m’explique un jour (oui, comme à un enfant de cinq ans) pourquoi la pornographie est un sujet si grave. Assez grave en tout cas pour être séparé, à part : on ne parle pas de pornographie dans la presse culturelle dite « généraliste », on ne vend pas de pornographie sur Amazon, on ne montre pas de pornographie à la télévision dite « hertzienne », etc. Parce qu’il y a des « lois », ah oui, parce qu’il y a des « mentalités » aussi, certainement… parce qu’il faut respecter les sensibilités, c’est vrai aussi, parce que, incontestablement tout le monde s’en fout, oui oui, parce qu’on ne parle pas de ça, parce que ça, depuis la nuit des temps, ça se tolère, ça ne se montre pas, voire ça n’a aucun intérêt (et les priapiques romains étaient des odes à la fertilité…).

Le 25 février dernier, j’ai eu l’insigne honneur d’être invitée par John B.Root lui-même à la projection de son dernier film, Ludivine. Pour ceux qui ne le savent pas encore, je n’étais pas née lors de cette parenthèse enchantée de 1974-1975, quand le législateur, atteint certainement d’un pet au casque fatal, autorisa les films pornographiques à coloniser les salles normales. Mais c’est un peu de ce souvenir artificiel qui fut proposé ce soir-là : sortir le porno des images, des alcôves, des cabines des sex-shops, d’internet… Regarder un film, du début à la fin, avec un scénario, des dialogues, de l’humour, de la musique...

Evidemment, Ludivine n’est pas un chef d’œuvre du 7ème art, il a été tourné en cinq jours, il n’a pas profité de subsides d’Etat ou d’autres grosses huiles, mais il possède quelque chose. Certainement cette tristesse, au fond présente dans tous les films de John B. Root (Xperiment, à mon sens, le meilleur), la tristesse de celui pour qui il n’y a rien de mal et qui encore et toujours, cependant, continue à se faire taper sur les doigts.

Cette tristesse, John B.Root l’a incarnée dans son personnage-double de réalisateur – il y a bien des écrivains qui écrivent des histoires d’écrivains qui écrivent – , Roberto Falcone (Francesco Malcom), pornographe sur le retour et dépressif. Le tournage mis en scène sera d’ailleurs le dernier : épuisé, blasé, cherchant son talent perdu (bien que personne ne l’ait vraiment vu, comme l’atteste ce délicieux passage où Ana Martin récite à peine déguisés les titres de B.Root « ZZZ, Italian Beauty, ça m’a fait trop chier, et franchement l’Expérience, j’ai arrêté au bout d’un quart d’heure tellement je ne comprenais rien »), Roberto planifie son suicide après son dernier tour de manivelle. Le pornographe récite I’vo piangendo (Je m’en vais en pleurant) de Pétrarque, face au vide quand son assistante se fait enculer et que sa perchiste (juste après avoir discuté de son DEA « formes et figures du suicide chez Emir Kusturica ») suce le producteur… mais retrouvera libido, joie de vivre et goût de l’amour grâce aux tours de magie de Ludivine, ou Lullu (« avec deux l ») un ange dépêché sur place par le « Patron ». Remake hard de « La vie est belle » de Capra, Ludivine de John B.Root, démontre à qui veut bien se donner la peine d’ouvrir les yeux, qu’un autre porno est possible.




Boum Boum

Tout le monde entendra ce qu’il veut sur MR73, les vérités officielles, les intentions de son réalisateur, les histoires vraies, et blabla. Cinématographiquement, j’aurais la prétention de dire que ce film est une merde, mise en scène surfaite, photographie de faiseur, Auteuil sur-joue son mono-jeu, les personnages féminins font pitié (Olivia Bonamy alias « faux-cheveux » et Catherine Marchal « Miss Lexo-tête-de-mort »), le méchant flic pourri est vraiment krékéméfan (la preuve, il va aux putes), le flic attentiste attend juste de crever comme une merde (ici, bouffé par un clébard) ; bref passons. Je ne suis pas critique de cinéma (ah ah).

Maintenant, pourquoi donc en parler ? Parce que je vois ce film comme l’indicateur d’un certain esprit français actuel, et que cet esprit est tragi-comique – voire carrément burlesque. Non content d’avoir perdu la bataille de l’esprit, le Français (intellectuel, sérieux, artiste engagé, ça coule dans ses veines et l’histoire est derrière lui) continue à croire qu’il peut jouer les challengers dans celle de la morale. Cet esprit donneur de leçon et grosses ficelles, excluant toute distance, finesse ou perspective et privilégiant la simple et brutale mise en scène d’un message, qui ne regarde finalement que son émetteur, mais dont cet émetteur pense néanmoins qu’il tient là une vocation universelle. Avec MR 73, Olivier Marchal a voulu « au-delà de l'intrigue policière, réaliser un film sur la rédemption et l'oubli comme condition de notre existence. ». Certes, mais l’existence de qui ? la question n’est jamais venue sur la table…

L’existence de singes pleutres, très certainement, de ceux qui croient que s’ils se prennent un éclair sur la gueule, c’est parce qu’ils ont bouffé la banane de leur copain, qu’il y a un lien – Auteuil tringle sa collègue, donc sa femme et sa fille sont victimes d’un terrible accident (bah ouais, punition quoi). L’oubli, c’est la picole, la rédemption, c’est big-monkey qui prend son big-gun et va cass’ la tête des méchants, parce que dans un monde où la civilisation a échoué (police, justice, tous pourris, ndlr) c’est toujours plus efficace de démonter un crâne à coup de crosse (quand ce crâne c’est celui du krékéméfan, donc flic aussi, donc un peu de la famille, donc tuage à mains nues, capice ?) ou à coup de balle (quand le crâne c’est celui du tueur-pervers-non-rédemptionné, donc pas la même race, donc distance, ok ?). Et rédemption de la rédemption, donc suicide, parce tuer des gens, c’est mal (faute-punition-rédemption-mauvaise conscience…).

Pour résumer la profondeur psychologique de ce film, on pourrait citer les propos tenus par la mère d’une victime d’un crime horrible quand Auteuil lui rend visite « au fond, on ne sait pas pourquoi on continue de vivre après un tel malheur, mais on le fait, la vie nous tient ». Bouffe-chie-dort quoi, la preuve, MR 73 se termine sur un accouchement…


vendredi 14 mars 2008

Is there life on Mars ?

Vous ne le saviez peut-être pas, mais au Brésil, l’avortement n’est possible qu’en cas de risque fatal pour la mère ou de viol – dans cette éventualité, apportez votre document estampillé police pour pouvoir profiter de la grâce du curetage. Mais le Brésil évolue, une commission formée par des représentants de la société civile, du gouvernement et du pouvoir législatif a présenté mardi au Parlement brésilien un projet visant à dépénaliser l’avortement. Entre autres, le texte prévoit un amendement supprimant du code civil brésilien la référence à l’avortement comme crime. Selon cet avant-projet, la grossesse pourrait être interrompue jusqu’à la douzième semaine, vingt-deux en cas de viol.

En réaction, l’Eglise catholique brésilienne a distribué plus de 600 fœtus en plastique dans les 264 paroisses de Rio de Janeiro pour qu'ils soient présentés au cours de messes célébrées en défense de la vie.

Et ouais.



Matraque

Évidemment, tout le monde a le droit de s'exprimer – cela va sans dire. Je distinguerais cependant (au moins) deux formes d'expression : la démonstrative et la coercitive, certainement concomitantes d'ailleurs de deux psychologies déjà mentionnées ici. La première vise à proposer un point de vue, hic et nunc, sans intention fondamentalement généralisatrice et encore moins politique – telle est ma façon de voir les choses, si d'autres s'y reconnaissent, y adhèrent ou s'en voient convaincus, tant mieux, sinon, tant pis, la route est large. La seconde consiste toujours en une proposition de point de vue mais dont la valeur s'entendrait en tant que modèle appelant obligatoirement sa généralisation – si telle est ma façon de voir les choses, elle ne m'appartient pas, je ne suis qu'un vecteur d'une vérité qui me dépasse et que je me dois de transmettre, coûte que coûte. On retrouvera bien évidemment les distinctions nietzschéennes de bon et de bien, de l'artiste et du prêtre – mais passons (disons que je me donne ici une crédibilité).

Dans son dernier ouvrage, Bernard Stiegler nous fait l'éclatante démonstration de ce que peut-être une expression coercitive. En deux mots, Bernard Stiegler a un très gros problème avec une publicité pour Canal J, où des enfants goguenards pointent du doigt leurs parents et grands-parents faisant les pitres, avec la mention « les enfants méritent mieux que ça » (sous-entendu, pour que tout le monde comprenne bien, ils méritent de se divertir en regardant Canal J plutôt que d'admirer les gatouilleries de leurs ancêtres). Et ça, Bernard Stiegler, ça le met dans une rage folle, tel est le paradigme qui fait que les choses vont mal et que le monde marche sur la tête, régi désormais par des valeurs d'irresponsabilité, d'immaturité, de désir à satisfaire immédiatement, de courte vue, de caprice – bref par des sales gosses, partout et tout le temps, au sens propre comme au figuré : c'est affreux. En plus, la télé ça rend con, c'est prouvé scientifiquement, alors vite aux armes noopolitiques !

J'ai dit deux mots, et j'épargnerais à mon rare et cher lecteur toute la besogne que requiert la lecture d'un tel ouvrage. Outre qu'on y retrouve, telle une blague trop lourde, tous les poncifs du philosophe tâcheron (quinze concepts par page, nombre inversement proportionnel aux bases factuelles, des évidences tombées de nulle part, du grec, de l'allemand, des références antérieures à 1950 – sauf quand elles renvoient aux propres ouvrages de l'auteur, etc.), le point de vue de Bernard Stiegler est tout entier un rappel à l'ordre. N'en témoigne que la dernière phrase (assez courte, une fois n'est pas coutume) :

Mais il faut alors tirer les conséquences du savoir récent sur ce qu'il en est de l'état des âmes, sur ce qui les détruit, et sur les possibilités de les reconstruire à partir de ce qui les a détruites – à condition de renverser profondément la situation de cette puissance qu'est devenu le psychopouvoir, et de la soumettre aux contraintes prescrites par une psychopolitique menée au service d'une noopolitique et à travers une politique industrielle des technologies de l'esprit.

(c'est moi qui souligne)




mercredi 12 mars 2008

La trouille


Nous sommes les enfants de la peur. Nous sommes les enfants de ceux qui ont fuit devant les bruits du vent, en supposant qu’il s’agissait du souffle des hyènes.

Nous avons construit notre survie à coups de protection, d’armes, de prévisions et de frontières. A l’abri.

Nos gènes portent la crainte, l’effroi, la peur du noir, cette vulnérabilité qu’on voudrait nous faire croire intrinsèque à une condition que personne n’interroge.

Le temps des singes pleutres se termine-t-il ? Difficile à croire, tant ils sont de plus en plus nombreux, serrés les uns contre les autres, au chaud - invention de nouvelles craintes et élimination de la mise en perspective.

A moins que dans les vents du changement se cachent des hyènes, cette fois-ci tangibles.


lundi 10 mars 2008

Mimic




Si ma vie se doit d’être régie selon les désirs du plus grand nombre, je préfère encore être gouvernée par des fourmis.

samedi 8 mars 2008

Procès d’intention

C’est donc aujourd’hui la journée de la femme. Le marronnier, c’est de dire qu’une journée ça ne suffit pas, que c’est un os à ronger, qu’il y a tant de choses à faire et de luttes à mener au quotidien, etc., néanmoins, il y en a toujours qui choisissent le 8 mars pour aller crier dans les rues et bloquer les lignes de bus (provocation gratuite, vu que je n’ai pas de bus à prendre aujourd’hui).

C’est aussi le marronnier des interventions médiatiques, de diverses figures officielles, pour faire des mises au point et donner des avis sur les choses qui changent et celles qui stagnent, des explications à proposer, des éclairages à permettre, bref, tout ce qui fait le quotidien d’un animal parlant doté d’artefacts techniques lui permettant de transmettre cette parole.

Chose étrange, depuis que je suis moi-même assermentée à transmettre officiellement la bonne parole de la pensée qui est la mienne (via un ouvrage qui sortira à la rentrée ndlr), je m’imagine régulièrement être en position de répondre en vrai à des individus qui, préalablement, n’étaient que l’objets d’éructations privées à destination d’outils bien incapables de débattre à leur place – revues, livres, radios, télévisions, etc.

Alors je teste, un peu malgré moi, toujours, les effets d’une telle pensée sur les cerveaux de mes contemporains. Une tendance commence à se distinguer : celle du déterminisme.

Si je dis que mon projet est de distinguer une lacune dans le féminisme, à savoir l’univoque concentration sur les versants sociaux de l’inégalité homme/femme sans en interroger les fondations biologiques et évolutives, un tel propos appelle irrémédiablement (en moyenne disons) le brandissement du drapeau « halte au déterminisme biologique ! ».

Si l’idée sous-jacente à un tel drapeau est que j’aurais l’intention de fixer les hommes et les femmes dans leur rôles, pour les premiers de singes agressifs, et pour les secondes d’utérus à pattes, ce serait bien mal me comprendre.

Je pense toujours qu’il n’y a pas de plus enivrante liberté que celle qui vise à connaître ses déterminations, et qu’une des plus excitantes leçons de la théorie de l’évolution est celle qui nous permet d’infléchir cette évolution, quelques soient les sens qui nous paraissent désirables.